Au nom du père, du fils et du saint ballon : quand le foot devient une religion
Au nom du père, du fils et du saint ballon : quand le foot devient une religion

Au nom du père, du fils et du saint ballon : quand le foot devient une religion

L’un est Portugais, l’autre argentin, l’un est l’idole du Real Madrid, l’autre celle du FC Barcelone, l’un joue à gauche, l’autre à droite, l’un est droitier, l’autre gaucher. Tout semble opposer Cristiano Ronaldo et Lionel Messi, pourtant ces deux joueurs sont adulés et détestés par l’ensemble des fans de foot. Il est impossible de rester indifférent face à ces deux joueurs. Bien que constamment opposés, ces deux athlètes se retrouvent unis dans leur rôle d’ambassadeur du football. Ils sont admirés, adorés, idolâtrés, sacralisés et même sanctifiés. Les termes religieux ne manquent pas pour évoquer la grandeur de ces immenses joueurs. Le champ lexical n’est qu’un exemple parmi tant d’autres qui nous amène à nous demander si le foot n’est pas devenu la plus grande religion du XXIème siècle ?

La religion est très présente dans le milieu du foot. Impossible de ne pas remarquer les prières d’entrée sur les terrains ou comme célébration après un but. Pourtant, la religion s’est peu à peu évaporée des sociétés européennes. A l’inverse, le foot est aujourd’hui le sport le plus populaire au monde et n’a jamais été autant regardé qu’aujourd’hui. L’augmentation du temps libre disponible mais aussi le besoin de se changer les esprits a fait que nous sommes témoins d’une explosion des loisirs et des activités annexes. Le foot est un parfait exutoire. Purement sportif pour ceux qui le pratique, il est aussi émotionnel et spectacle pour ceux qui le supporte. Le ballon rond remplace ou complète une spiritualité. C’est en ce sens que le foot est en train de prendre la place de la religion. Il rassemble des personnes qui ne se rassemblaient plus et créé de l’émotion. Autrefois en France, et c’est toujours le cas dans bien des pays du monde, la religion donnait un cadre à l’existence ainsi qu’une certaine vision de la vie. Désormais, c’est le foot qui joue ce rôle.

 

Le foot encadre la vie

Le ballon rond diffuse un ensemble de valeurs, celles du sport et d’autres qui lui sont propres. L’Église catholique comme l’Islam ou le Judaïsme est garante de valeurs et cadre la société depuis des siècles, mais il semble aujourd’hui que le foot remplisse de plus en plus cette fonction. Il donne un sens à la vie en offrant un exutoire permettant d’oublier sa condition comme peut le faire la religion. Le respect des institutions, de l’adversaire, repousser ses limites, ne jamais rien lâcher, ne pas céder aux discriminations constituent les valeurs du football. Sur le site The Player’s Tribune, pour annoncer son soutien à Common Goal, le projet caritatif de Juan Mata, Eric Cantona s’explique : “Le foot donne du sens à votre vie, je le crois vraiment. Mais votre vie, votre histoire, votre essence, donne aussi du sens à votre football.” Cette phrase, lourde de sens, montre l’importance que peut avoir le foot dans la vie d’un fan. Il cadre la vie de ses passionnés comme le fait la messe ou les prières dans la religion. Il y aussi des cérémonies dans le foot. Dans la vie du passionné, Téléfoot, la célèbre émission de TF1, a longtemps fait office de messe. Même heure, même jour que la cérémonie lithurgique le dimanche matin était ponctué par cette émission mythique. Téléfoot était la seule source d’information footballistique à la télévision pour beaucoup de personnes avant l’arrivée récente de Beinsport, L’Equipe, RMC Sport, etc. Mais Téléfoot n’est pas la seule cérémonie qui rythme la vie d’un fan de foot. Les matchs de ligue des champions du mardi et mercredi soir sont maintenant entrés pleinement dans la vie des passionnés. Les déplacements au stade ou les émissions spécialisées sont aussi des rituels que les amateurs ne manqueraient pour rien au monde.

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L’exposition « The Art of Football Shirt » présentent des centaines de maillots, aussi bien pour leur histoire, leur impact culturel et politique ou tout simplement leur design. Source : Footpack.

Un bon croyant se doit de porter un signe distinctif pour marquer son engagement à un dieu. Une croix, une main de fatma, une étoile de David, un svastika, chaque religion a ses signes pour exprimer son appartenance et surtout faire vivre son culte. Le fan de foot a lui aussi de quoi montrer son appartenance. Casquette, maillot, survêt, claquette, écharpe, manteau, veste, t-shirt, polo, pull, sweat, sac, sous-vêtements, maillots de bain, serviette, coque de téléphone…. L’habit traditionnel du passionné n’a plus de limite. Il devient difficile de se revendiquer passionné sans avoir “donné à la cause” en faisant l’acquisition de ces reliques.

 

Des chapelles et des courants

Dans le foot comme dans la religion, il existe des chapelles, des pratiques et des oppositions. Et comme pour le spiritisme, il y a du fanatisme exacerbé et de l’extrémisme. Le foot est une passion de partage où tous se réunissent autours du sport quelque soit les opinions politiques, les confessions religieuses, les ethnies. Mais des extrémistes viennent entacher l’image du sport. Ces hooligans aiment le foot uniquement pour les oppositions auxquelles ils participent, comme des batailles rangées entre hooligans de clubs adverses.

Chaque dévôt a son interprétation de sa religion et on retrouve des similitude dans la passion pour le foot. Il existe différentes chapelles dans le monde du ballon rond. Pour certains, le foot se vit en tant que supporter d’une équipe, pour d’autres en tant qu’observateur extérieur. Une deuxième dichotomie divise les fans de football. Ce sport se vit-il au stade ou devant une télé dans un bar ? Chacun a son interprétation sur comment vivre sa passion, comme chacun peut développer sa propre manière de vivre une religion. Mais au delà de comment vivre le foot, il existe des oppositions sur le sport en lui même. Des oppositions de styles comparables aux débats au sein des religions comme les protestants, les anglicans, les orthodoxes et les catholiques ou bien entre les chiites et sunnites. Dans le foot, ces débats d’interprétations et de fonds existent aussi. Sans établir une typologie exhaustive et pertinente, on peut opposer le joga bonito brésilien (football champagne), le catenaccio, le tiki taka, le kick and rush ou encore le football allemand sans superflu. Tous ces styles ont à la fois des adeptes et des icônes, sortes de prophètes modernes du football.

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Lors de l’Euro 2016, une exposition était consacrée aux rituels footballistiques dans les musées Gadagne de Lyon. Source : Gadagne musées

Actuellement, on peut citer le triptyque Pep Gardiola, Marcelo Bielsa, Jorge Sampaoli comme exemple de ce football total. A l’inverse Jose Mourinho, Claudio Ranieri ou Michel Der Zakarian sont des fidèles défenseurs d’un football froid fait de contre-attaques et de bloc défensif compact et bas. Que penser également du football de l’Atletico de Diego Simeone, sulfureux mélange de nombreuses influences footballistiques. Marcelo Bielsa a parfaitement résumé les différences fondamentales entre les différents styles de football et ce qu’elles peuvent engendrer, lors d’une de sa conférences de presse à Leeds le 31 aout 2018 : Je crois que le public devrait être obligé de dire quel type de football il aime. S’il ne confesse pas le style de football qu’il préfère, il n’aime que la victoire. Et quand une personne n’aime que la victoire, sans considérer les moyens, la sensibilité disparaît. Et la hiérarchie des valeurs disparaît. Ce n’est pas qu’il y a des bonnes et des mauvaises valeurs. Mais il y a des valeurs différentes. Comme le football a beaucoup d’influence, dire au public que la seule chose qui compte est la victoire, cela ne place pas le football à la hauteur qu’il a.”

 

Des légendes, des mythes et des lieux

Guy Carlier, dans son livre Qui veut tuer Matthieu Valbuena ? (Cherche Midi Éditeur), utilise à son plus grand désespoir le terme de “panthéon du football“. Désespoir lié au fait qu’il n’arrive pas à trouver de terme plus cohérent ou qui retranscrit plus l’idée qu’il souhaite partager. Pourtant, ce terme est très évocateur pour décrire cet ensemble de légendes, d’événements, de souvenirs qui, individuellement, marque notre histoire du foot. Certains événements du football ont imprimé l’Histoire de leur empreinte et sont maintenant contés comme des légendes ou des mythes. La volée de Zidane en finale de la ligue des champions 2002 contre le Bayer Leverkusen ou plus tristement son coup de tête en finale de la Coupe du monde 2006, la main de Suarez en quart de finale de la Coupe du monde 2010 ou la main de Maradona contre l’Angleterre en 1986 sont des événements qui ont marqué universellement les fans de foot. Ces histoires footballistiques ressemblent aux légendes, mythes ou histoires religieuses présentes dans les livres saints. Il devient encore plus dur de nier cette ressemblance quand on se rappelle que la main du “Pibe de Oro” est toujours appelée main de Dieu. La liste des épisodes extraordinaires qui ont marqué l’histoire des passionnés de football est longue. Alors que Moïse aurait écarté la Mer rouge, Messi a ouvert la défense de Getafe un soir de 2007. Alors que Jesus aurait marché sur l’eau, multiplié les pains, changé l’eau en vin et ressuscité, Zlatan Ibrahimovic a marché sur la France, Juste Fontaine a multiplié les buts à la Coupe du monde 1958, David Beckham a transformé de simples ballons en passes décisives, Pirlo, tout au long de sa carrière, a semblé toujours plus ressuscité chaque saison. Dans une religion, chacun a son interprétation des textes saint et des histoires qu’il croit ou non. En foot, chacun retiendra des événements différents. Pour ma part, je retiendrais un but de Mathieu Valbuena à Anfield en 2007, un contrôle du dos de Brandao en 2012, une panenka de Trézéguet en 2006. Voici une partie de mon panthéon du football.

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La fresque Adidas présente dans la gare de Cologne lors de la Coupe du Monde 2006. Source : ParlonsFoot.com

Sepp Blatter, ancien président de la FIFA, expliquait au journal portugais O Globo peu de temps avant la coupe du monde 2010 : “Le Maracana est une cathédrale, c’est le temple du foot, c’est le cœur de la grande messe du football* .”Xavier de La Selle, directeur des musées Gadagne à Lyon, a préféré une tournure différente pour exprimer cette même idée. Ainsi, il décryptait les antres du foot, dans Le Monde : Des stades comme le Maracaña de Rio ou le Camp Nou de Barcelone sont des cathédrales du football et la ferveur des supporters est comparable à celle de fidèles. Ce sport défend des valeurs, suit des règles et impose des interdits, régulés par l’arbitrage.” Aujourd’hui les stades sont les nouvelles infrastructures gigantesques, symboles dans leur ville de la présence de ce culte footballistique. Les stades se visitent comme les lieux de cultes. Ils sont les lieux de réunions pour la messe hebdomadaire des fans de foot. A Barcelone, le Camp Nou est un symbole de la ville au même titre que la Sagrada Familia. Les stades sont donc les nouveaux temples de cette religion qu’est le football. La comparaison dans les pratiques peut aller encore plus loin pour certains. En poussant l’analogie, on peut se dire que les mouvements de foule lors des coupes du monde, des coupes continentales ou des simples matchs de championnat sont les pèlerinages des fans de foot. Pour en finir avec l’architecture et l’art, prenons l’exemple de la fresque d’Adidas présente dans la gare de Cologne en 2006. Cette oeuvre est une imitation de celle de Michel-Ange dans la chapelle Sixtine. Étendue sur 800 mètres carrés, cette peinture représente un panthéon du football à une période donnée.

 

Un lien social

Le foot engendre également du lien social. Le ballon rond génère des liens père-fils (ou toutes autres variantes du lien parent-enfant) . La passion du foot naît et passe souvent par ce lien parental. Guy Carlier explique que le foot devient une passion commune et un vecteur de la création du lien parent-enfant. Il en vient même à décrire le déchirement qui se matérialise lorsque l’enfant s’éloigne du foot pour l’amour. Cette attache, ce partage de valeur est une nouvelle fois comparable à la religion. Comme un enfant et un parent partagent une religion, ils partagent aussi un amour, une passion pour le terrain.

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La célébration de la victoire en Coupe du monde de l’équipe de France, après France Pays-Bas au stade de France. Source : Zulumud.

L’autre lien social est plus large. Le foot, et plus particulièrement la Coupe du monde, est le seul événement capable de réunir l’ensemble d’une nation, voir du monde autour d’une actualité. Cette année 2018, la France a été sacrée championne du monde. Comment ne pas se souvenir de ces scènes de liesses populaires ? Des chants, des pleurs, des danses, de la joie. Le foot est la seule activité assez universelle pour rassembler encore plus qu’une religion. Il n’a pas de couleur, pas de religion, pas de politique. Quels sont les événements ou fêtes capables de rassembler autant de monde et de créer autant de joie ? Tristement, dans notre société individualisée et individualiste, le foot semble être l’un des derniers vecteurs de rassemblement. Car au fond ceux qui ont le plus fêté la victoire de l’équipe de France ne sont probablement pas les plus grands fans de foot.

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L’exposition “Au nom du FOOT” à l’air de se poser les mêmes questions que nous.  Source : Musée de la vie Wallonne, Province de Liège.

Denis Müller, professeur d’éthique à l’université de Lausanne décryptait lui aussi les relations entre football et religion dans Le football, ses dieux et ses démons (Labor et Fides) :“Le football s’approche un peu de la religion quand la qualité du jeu atteint des sommets, semble être une pure gratuité, un émerveillement qui réunit les spectateurs dans la fraternité universelle.” Dominique Lebrun, archevêque de Rouen, abondait dans ce sens sur lepelerin.com : “Le foot permet d’abolir les barrières entre les générations, les intellos et les manuels, les gens des beaux quartiers et ceux des banlieues, pour peu qu’ils arborent tous la même écharpe. Incroyable alchimie ! Si elle n’est pas religieuse, elle est de l’ordre du divin. Et j’y perçois, moi, un peu du souffle de l’Esprit.” Il est intéressant de voir comment un universitaire et un homme de foi se rejoigne sur leur vision du football. Ces citations font échos à l’idée de communion et au sentiment d’appartenance apportés par le foot. Le ballon rond est le lien le plus transcendant qui soi et dépasse les oppositions politiques ou culturelles.

Le foot est aujourd’hui si universel que même ceux qui ne l’aiment pas en parlent. Ce caractère mondial le rend plus transcendant que la religion elle-même. Et si le foot est la nouvelle religion de masse, alors son dieu n’est autre que Diego Maradona, lui qui a tellement enchanté le stade San Paoli de Naples qu’il a été divinisé. A tel point, qu’une religion lui est voué en Argentine. Et qui sait, peut-être que l’Eglise maradonienne sera la prochaine grande religion monothéiste ? A moins que quelqu’un ne fonde le clergé du Messi.

Le B

*Version originale : “Maracana is a cathedral. The temple of football. It is a place to even hold mass.”

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