Naps de la Puenta, fils de JUL ?
Naps de la Puenta, fils de JUL ?

Naps de la Puenta, fils de JUL ?

En septembre 2017, JUL sortait son deuxième album gratuit de l’année après un premier volume rendu disponible en avril. Une nouvelle fois, l’artiste de Saint-Jean du Désert semblait asseoir sa domination sur le rap phocéen. C’était sans compter un autre artiste massaliote, prêt à tout pour se faire sa place sur la scène marseillaise, quitte à troubler la quiétude du règne sans partage de JUL. A la rentrée 2017, Naps offrait donc à son tour un album gratuit à ses fans. Cerise sur le gâteau, le natif d’Air-Bel adoptait le même mode de sortie que JUL : un son inédit par jour. Il n’en fallait pas plus pour que certains observateurs du rap clouent au pilori Naps et l’accusent de copier JUL. S’il est vrai que la musique des deux rappeurs marseillais présente de nombreuses ressemblances, faut-il pour autant en conclure que Naps n’est qu’une vulgaire copie de JUL ? Ne doit-on pas plutôt voir en Naps, le fils de JUL avec cette envie œdipienne de tuer le père ?

A l’automne 2013, un jeune artiste marseillais, issu d’une des innombrables cités phocéennes, sortait son premier clip, intitulé “Sors le cross volé”. Succès national, ce son allait faire connaître Julien Mari, aka JUL, à la France du rap et lancer une incroyable carrière dans le monde de la musique, parsemée de disques d’or et de platine à chaque sortie d’un nouveau projet. Depuis ce premier triomphe, la musique de JUL a évolué, devenant plus mélodieuse. S’il a percé grâce à un son de rap hardcore, JUL est désormais la tête de file d’un mouvement musical principalement marseillais, où la chanson se mêle au rap dans des instrumentales légères et sucrées. Et comme la trap avant elle, la musique de JUL a fait des émules. Attirés par ce succès phénoménal, plusieurs nouveaux rappeurs ont repris les codes de ce rap fourre-tout où les influences les plus diverses se mélangent et se confondent. Naps a été l’un des premiers à se faire connaître en reprenant une recette musicale proche de celle de JUL. Leurs musiques sont aujourd’hui si proche sur de nombreux aspects que les novices de ce rap marseillais confondent souvent les deux artistes.

A vrai dire, il est étonnant que seul Naps ait connu un succès national en adoptant les codes musicaux de JUL. Car cette formule magique qui fait du second un des plus gros vendeurs de musique en France, tout genre confondu, n’a rien de bien compliqué. On pourrait même la résumer en un mot : simplicité. La musique de JUL, et par conséquent celle de Naps, est basique. Les instrumentales, piliers fondateurs de toutes les musiques urbaines, sont des plus simples. A tel point que JUL fabrique lui-même les siennes sur son ordinateur. Dans la grande majorité des sons des deux artistes, l’instru se résume à une boucle électronique de quelques secondes à peine, qui se répète à l’infini et où les variations de rythme sont assez rares et succinctes. A première vue, n’importe quel beatmaker maîtrisant un minimum les logiciels pour créer des beats pourrait reproduire les instrus de Naps et de JUL. Mais là où les deux artistes se démarquent, c’est dans la sonorité chaude et dansante de leur fond musical. Qui n’a jamais eu envie de bouger en écoutant Pochon Bleu ou La tête dans les nuages ? Les beats type de Naps et JUL ont une identité marseillaise très marquée, comme s’ils avaient été baignés par le soleil avant de sortir du studio. Il en résulte des mélodies très facilement identifiables. On reconnaît dès les premières notes une musique de Naps ou de JUL.

Clio 3 et pochon bleu

Pour les nombreux détracteurs de cette nouvelle génération du rap marseillais, le triomphe de Naps et de JUL va de pair avec la fin d’un rap marseillais plus ancien, mieux écrit et plus enclin à dénoncer les problèmes sociaux rencontrés dans les cités. A la première écoute, difficile de leur donner tort tant les textes de cette nouvelle génération paraissent faibles, à la fois dans le vocabulaire et les métaphores. Pourtant, ce choix d’écriture semble assumé. Mieux, il est revendiqué par ces nouveaux rappeurs qui mettent en avant la simplicité et l’authenticité de leurs paroles. Dépourvues de toute frime, les paroles de Naps ou de JUL parlent de Clio 3 et de Twingo plutôt que de gros gamos ou de berlines allemandes. Pêle-mêle, les sons des deux artistes massaliotes racontent les règlements de compte, le charbon, les courses-poursuites avec la police, les perquisitions, etc. Tout ce qui rythme la vie des quartiers populaires marseillais trouve sa place dans leur rap. Naps et JUL s’épanchent également beaucoup sur les femmes, les amours perdues, les michtonneuses, souvent avec nostalgie. Tous ces thèmes quotidiens, à la limite du banal, parlent aux gens qui vivent la même chose et se reconnaissent donc dans la musique des deux chanteurs. Point d’orgue de cette simplicité dans l’écriture, les paroles sont faciles à retenir. Les deux paroliers utilisent le même vocabulaire courant qu’ils emploient dans la vie de tous les jours pour s’exprimer. Dans une interview à Rap2Tess en 2015, JUL avouait ainsi ne pas écouter certains rappeurs à cause du vocabulaire dont ils se servent et qu’il ne comprenait pas lui-même.

Plutôt que de s’installer sur le créneau du rap égo-trip vu et revu par la trap depuis 2011, les deux rappeurs se transforment en narrateur et racontent le plus simplement possible leur vie, en essayant d’y ajouter le plus de détails possible. Dans la même interview à Rap2Tess, JUL expliquait parfaitement la mentalité qui anime son écriture : “La différence entre moi et les autres rappeurs, c’est que si je vois mon pote qui roule un joint et boit une canette, bah je vais écrire ça, il roule un joint et boit une canette, tu vois.” Naps et JUL sont deux artistes issus des quartiers populaires et qui, dans leur musique, racontent cette vie de prolétaire sans glorification de la violence ni exagération de leur succès et de leur vie dans le rap. Il y a une forme d’humilité très profonde dans leur musique. Cela tourne même à l’obsession pour JUL qui parle souvent de sa peur de changer avec la célébrité et le succès. Dès son premier album, sorti en 2014, le natif de Saint-Jean du Désert déclarait dans le tube “Dans ma paranoïa” : “Dites-moi si j’ai changé, dites-moi si je suis plus le même.

Si l’on ne devait choisir qu’un seul mot pour définir cette nouvelle génération du rap marseillais, authenticité serait finalement plus juste que simplicité. Preuve en sont les albums gratuits que produisent les deux rappeurs, à destination de ceux qui n’ont pas les moyens ou qui sont en prison. Surtout, les émotions et les thèmes invoqués par les deux artistes sont à des années-lumières du gangsta-rap. La mélancolie est un de ces sentiments récurrents chez JUL et Naps. A ce propos, le journaliste Yerim Sar écrivait ces quelques lignes dans un article pour Noisey : “En ce qui concerne la musique en elle-même, ses paroles évoquent régulièrement la solitude, les galères, la déception et les trahisons. En dépit du côté dansant, Jul garde souvent un fond très mélancolique.” Chez Naps, cette mélancolie se transforme souvent en nostalgie où le rappeur regrette le “bon vieux temps”, les amours perdus, les amitiés brisées. Chez JUL aussi, les déceptions amoureuses occupent une belle place dans sa discographie.

Entre raï et variété française

Troisième pilier du rap, le flow reste dans la droite lignée des instrus et des paroles chez nos deux rappeurs marseillais. Si chacun possède son propre timbre de voix, plus aigu chez JUL, plus grave et rauque chez Naps, les deux artistes se ressemblent une nouvelle fois dans leur manière de rapper. Leur flow reste assez basique, se contentant de suivre les changements de rythme du beat. Naps et JUL ne sont pas les rappeurs les plus techniques de leur génération, mais ils ont tous deux parfaitement compris l’importance de la chanson dans le rap moderne. Comme leurs contemporains, Damso, PNL ou SCH, les deux artistes marseillais n’hésitent pas à pousser la chanson dans leur musique. Le résultat est un patchwork musical bordélique, souvent cheap, parfois consternant, mais assez singulier pour ne ressembler à aucun autre, analyse Yerim Sar. Il explique le succès de JUL par ses influences ultra-variées, du raï au R’n’B sans oublier les tubes de variété des années 80, dont il n’hésite pas à reprendre les modèles pour ses propres chansons. S’il est donc si difficile de caractériser la musique de JUL, c’est simplement car il ne rentre dans aucune case et en même temps, il “fait de tout” et peut donc être intégré à tous les styles musicaux. Même le rap de kickeur ne résiste pas à JUL, qui a démontré à plusieurs reprises qu’il était tout à fait capable de rapper sans autotune et sans refrain pendant trois ou quatre minutes (Lacrizeomic, Comme à l’époqueCoup de genoux, etc). De son côté, la musique de Naps s’insère davantage dans la case rap, mais on sent qu’il est prêt à intégrer de la chanson dans ses sons pour séduire un public plus large. En témoigne par exemple, le feat avec Soolking “Dans ma favela” ou le titre “Elle t’a piqué”, où Naps chante plus qu’il ne rappe.

La simplicité commune à Naps et JUL est peut-être la première raison qui explique leur succès. Tous deux apparaissent comme des personnes du quartier, loin de la prétention et de l’excentricité des rappeurs stars. Les auditeurs peuvent donc s’identifier plus facilement aux artistes et à leur musique. Naps et JUL n’hésitent d’ailleurs plus à faire rapper leurs potes, même si ceux-ci n’ont jamais chanté de leur vie. On ne compte plus le nombre de feat de Naps avec ses amis du quartier ou de 13e art (Pochon Bleu, Costa Brava, etc). Cela donne souvent des résultats improbables… et pas forcément mauvais. JUL déclarait lui dans son interview à Rap2Tess : “Je ne me suis pas souvent mélangé. Je préfère rapper avec mes collègues, même s’ils ne font pas de rap.” Ce retour à un rap simple, au plus proche des auditeurs, a sans doute plu aux gens, lassé de l’égo trip de la trap et du gangsta-rap.

Une autre raison permet également d’expliquer le succès de ce nouveau rap marseillais. JUL et Naps sont apparus avec une musique différente à une époque où la trap inondait le rap game. Au moment où JUL commence à se faire connaître, entre 2014 et 2015, le marché du rap est monopolisé par le triptyque trap (Kaaris, Booba, etc), rap élitiste parisien (Nekfeu, L’Entourage, etc) et le gangsta-rap ou rap hardcore (Rohff, Lafouine, Lacrim, etc). La trap, importée à partir de 2011 d’Atlanta, est particulièrement présente dans le rap français. Ses déclinaisons sont nombreuses et souvent répétitives, au risque de lasser les auditeurs. L’arrivée de nouveaux artistes et de nouvelles formes de rap est une véritable bouffée d’air frais pour le public qui se jette dessus. C’est alors que de nouveaux artistes explosent, en témoignent le nombre de vues et les ventes de PNL, JUL, Damso ou SCH.

“Comme Kalif, je suis hardcore”

Si le lien de filiation entre JUL et Naps ne fait plus aucun doute, il reste encore à déterminer si Naps n’est qu’une vulgaire contrefaçon de JUL ou si l’influence du rappeur blond est plus subtile et profonde. L’environnement marseillais dans lequel les deux artistes ont grandi et mûri leur musique joue un rôle important dans les similitudes entre leurs sons. JUL et Naps sont tous deux attachés à leur terre d’origine. On ne compte plus les dédicaces à leur quartier respectif et les références à l’argot phocéen dans leurs chansons, deux marqueurs de leur ancrage territorial très puissant. Comme le chante Naps dans LV : “A part pour les showcases, je sors jamais de la région PACA”, le Sud, et Marseille en particulier, sont des territoires clés tant dans la musique que dans la vie des deux artistes. C’est ici, et nulle part ailleurs, qu’ils ont grandi. Il est donc logique que cette ville influence leurs sonorités et paroles. On peut donc supposer que les ressemblances entre JUL et Naps viennent avant tout de leur ville de naissance. La majorité des rappeurs qui ont essayé de reprendre les codes du rap dansant de JUL viennent également du sud de la France. Si seul Naps et JUL ont réussi à percer à l’échelle nationale, des artistes comme Elams ou Hooss arrivent à remplir les boîtes de nuits et clubs de Marseille. Quasi-inconnu à Paris, le rappeur de la Marine Bleue est une star dans la cité phocéenne, où il enchaîne les showcases.

Il existe un autre dénominateur commun entre les deux rappeurs marseillais en la personne de Kalif Hardcore. Rappeur marseillais sans grand succès, l’homme est surtout connu pour être l’ancien producteur de JUL, à l’époque où celui-ci était encore signé sur le label Liga One. C’est sous son aile que JUL a véritablement percé et s’est fait connaître du grand public. Si l’histoire a mal fini, JUL doit beaucoup à Kalif qui a commercialisé ses premiers albums et l’a aidé à mieux comprendre le business du rap. Désormais, c’est dans l’entourage de Naps que l’on retrouve le producteur. Si son rôle est assez flou, on l’a vu poser à plusieurs reprises avec le rappeur d’Airbel, notamment sur le son Momo Design, un remix du hit “Freed From Desire” de Gala et déjà samplé auparavant par JUL dans “Mon son vient d’ailleurs”, sur son premier projet. Cette proximité entre Naps et l’ancien producteur de JUL permet de mieux comprendre les analogies dans leur musique.

Des publics bien distincts

Naps n’hésite pas à rapper voire chantonner sur certaines productions dansantes, tout en conservant un ADN rue. Beaucoup apprécient le comparer à JUL mais Naps a un univers bien différent, en parlant de réalités touchant une cible plus âgée. En parallèle, les timbres vocaux sont différents, la voix de Naps est bien plus grave et rocailleuse amenant un aspect plus violent que dans les morceaux de JUL. Cette analyse du site spécialisé Générations résume les limites de l’influence de JUL sur Naps. Disons-le clairement, Naps n’est pas une copie bas de gamme de JUL. Son premier album, Ma ville & ma vie, sorti en 2015 à une époque où JUL commençait tout juste à percer et n’avait pas encore finalisé sa formule magique du rap dansant chantonné, pose déjà les bases de ce que sera Pochon Bleu. Ce deuxième projet, sorti en 2017 avant l’été, a fait exploser Naps avec un modèle semblable à celui de JUL, ce qui a conduit certains à croire que le natif d’Airbel avait copié le rappeur de Saint-Jean du Désert. Mais il suffit d’écouter Ma ville & ma vie pour comprendre que, depuis le début, Naps fait lui aussi du rap dansant où il raconte le plus simplement possible sa vie au quartier. Une fois que l’on a compris que Naps a sûrement été influencé par JUL, mais n’a jamais eu l’intention de le copier, les différences entre les deux rappeurs sont plus visibles et compréhensibles. Le rap de Naps est plus mature et probablement plus travaillé. Contrairement à JUL qui produit toute sa musique de A à Z depuis son départ de la Liga One, Naps a signé en maison de disque et semble très heureux à en croire les nombreuses références à 13e art dans ses sons. Bien épaulé par son label, Naps réfléchit et travaille davantage sa musique que JUL, qui garde une part de naïveté enfantine rafraîchissante. Ce dernier jette d’ailleurs assez peu de sons, ce qui explique sa productivité énorme. Dans un post facebook de 2014, il déclarait avoir écrit et enregistré plus de 400 sons avant de signer en maison de disque. Une anecdote qui ne fait que confirmer son statut de Young Thug français (le MC d’Atlanta avait lui affirmé dans une interview à Clique avoir écrit plus de 1 000 sons à 23 ans à peine).

La musique plus innocente de JUL lui apporte donc un public plus jeune, dont énormément d’enfants et adolescents. Il suffit de regarder les commentaires YouTube ou Facebook sous ses posts pour vérifier l’âge moyen de ses auditeurs. Ils forment une solide fan base, un atout précieux lorsqu’il s’agit d’acheter les nombreux albums du rappeur, malgré la répétition des instrus et la faiblesse de l’écriture. Naps a lui aussi réussi à se constituer un public stable, plus mature que celui de son homologue. Son univers plus violent lui permet de se démarquer de JUL tout en conservant le même aspect chaud et dansant dans sa musique.

Face à ce constat, il est étonnant que ces deux artistes marseillais n’aient jamais collaboré. Nous sommes dans une période d’ébullition pour le rap et les coopérations entre rappeurs fleurissent chaque jour. Rares sont les albums qui ne comportent plus au moins deux ou trois featurings. JUL et Naps eux-mêmes ne font pas exception et collaborent avec de nombreux artistes, en particulier avec ceux issus du sud de la France. De là à voir dans cette absence de collaboration un début d’embrouille entre les deux rappeurs, il y a un fossé que certains n’ont pas hésité à franchir avec la publication d’un mystérieux message de JUL sur les réseaux sociaux. Ce dernier dénonce le manque de personnalité de certains… peu de temps après que Naps ait annoncé un album gratuit sur le même modèle de sortie que JUL. Alors vrai clash ou simple querelle d’ego ? De son côté, Naps a assuré qu’il n’était pas brouillé avec son concurrent. A la question de savoir si une future collaboration était donc possible entre les deux têtes d’affiches du nouveau rap marseillais, l’auteur de Pochon Bleu a répondu d’un énigmatique : “Inch’allah, ça va venir.

Le W

A lire également, un graphique interactif sur la discographie chargée des deux artistes marseillais : ici.

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