Membre de l’axe du mal du président G.W Bush ou plus récemment qualifié de “mafia religieuse corrompue” par le secrétaire d’État à la Défense de Donald Trump, l’Iran est devenu infréquentable depuis la mise en place d’un pouvoir religieux en 1979. Au cœur de ces intimidations et menaces incessantes, le programme nucléaire iranien cristallise depuis près de 15 ans les tensions entre les deux camps. L’Occident accuse la République islamique de vouloir se doter d’armes balistiques nucléaires, ce qui en ferait la “principale menace pour la paix mondiale”. Mais au-delà des aphorismes de la propagande américaine, l’honnêteté intellectuelle nous oblige à nous demander si l’Iran cherche vraiment à acquérir des armes de destruction massive. Et pourquoi cette hypothèse inquiète-t-elle autant les occidentaux ?
L’été 2015 fut synonyme d’espoir pour l’Iran. Après plus de trois décennies d’embargo et de sanctions économiques internationales ayant pour but d’asphyxier leur économie, les Iraniens pouvaient relever la tête fièrement. Les mois de négociations acharnées avaient enfin abouti à un résultat. Un accord sur le programme nucléaire de la République islamique avait été rédigé, approuvé et signé par le pays et les grandes puissances du P5+1, un groupe composé des cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU et de l’Allemagne. Bien sûr, cet accord, dit de Vienne, était loin d’être parfait mais il avait le mérite d’exister et d’avoir mis fin à une crise diplomatique débutée en 2002 avec la découverte en Iran de deux sites nucléaires inconnus, dont une installation d’enrichissement de l’uranium à Natanz. Dans les textes, il devait permettre à Téhéran de normaliser ses relations avec les puissances occidentales. L’Union européenne et les États-unis s’engageaient à lever les principales sanctions frappant l’Iran, en particulier dans les secteurs essentiels de l’énergie, des transports ou de la finance. En échange, l’Iran avait accepté de limiter radicalement son programme nucléaire. La République islamique s’était engagée à ne conserver qu’une seule usine d’enrichissement d’uranium, où elle ne peut enrichir qu’à 3,67 % pendant quinze ans – un taux supérieur à 90 % est requis pour la production d’une bombe nucléaire. Les contrôles sur place étaient également renforcés. Désormais, les inspecteurs de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) auraient un accès 24 heures sur 24 aux installations nucléaires iraniennes clés. Barack Obama l’avait souligné à l’époque, “cet accord n’est pas fondé sur la confiance. Il est fondé sur les vérifications”.
La République islamique, de loin la plus handicapée dans ce traité, a parfaitement rempli ses obligations. À quatorze reprises, l’AIEA, le gendarme du nucléaire, a certifié que l’Iran respectait bel et bien ses engagements. Ce ne fut pourtant pas le cas de tous les pays signataires. Dès la ratification de l’accord, les États-unis ont maintenu certaines sanctions liées aux violations des droits des personnes, à son “soutien au terrorisme” et à ses activités balistiques. Washington n’a pas hésité non plus à faire pression sur les entreprises européennes, en particulier les banques, qui font des affaires aux États-unis ou commercent en dollars afin qu’elles n’investissent pas en Iran. La puissance de nuisance des sanctions économiques de Washington sur les entreprises européennes est telle que nombre d’entre elles ont préféré ne pas commercer avec l’Iran, plutôt que de se fermer le gigantesque marché américain. L’amende record de neuf milliards de dollars infligée à la BNP Paribas en 2014 hante encore tous les esprits.
Créer une zone exempte d’armes nucléaires
La rupture avec les États-unis semblait donc inévitable avant même la mise en vigueur de l’accord. Alors qu’il était prévu pour durer quinze ans, les États-unis s’en sont retirés au bout de trois années seulement, sous l’impulsion du belliqueux Donald Trump. Lors d’un discours prononcé à la Maison Blanche en mai 2018, le président américain dénonçait “un accord horrible et partial qui n’aurait jamais dû être conclu. Il n’a pas apporté le calme. Il n’a pas apporté la paix. Et il ne le fera jamais.“ Derrière ces paroles violentes et sans équivoque se cache en réalité une administration d’État hostile à l’Iran depuis près de 40 ans. Sitôt annoncé, la rupture de l’accord de Vienne s’est traduit par le rétablissement de l’intégralité des sanctions américaines (contre la banque centrale iranienne et surtout les ventes de pétrole iranien). Conséquence : l’économie iranienne s’est retrouvé à nouveau asphyxié. Depuis le retrait américain de l’accord sur le nucléaire, la monnaie iranienne a perdu environ la moitié de sa valeur, tandis que le prix des denrées alimentaires a augmenté de près de 56 % entre novembre 2017 et novembre 2018, frappant de plein fouet la population.
L’Iran fut sans doute peu étonné du volt-face des Américains, qui ont toujours été les plus réticents à conclure un accord avec l’Iran, même à l’époque d’Obama. Une situation qui fait tâche dans la communauté internationale. Il est admis depuis longtemps que seul une solution diplomatique permettra de résoudre la crise iranienne. Les Russes, les Chinois, les Français s’y sont fait. Parmi les grandes puissances, les Américains sont les seuls à s’être opposé autant de temps à un accord qu’ils ont finalement rendu caduc au bout de trois ans. L’agrément avait pourtant été accueilli avec soulagement et optimisme dans le monde entier. La vaste majorité de la planète est manifestement du même avis que l’Arms Control Association des États-unis, qui affirme que “le plan global d’action conjoint [instauré par l’accord de Vienne, ndla] instaure une formule convaincante et efficace permettant d’empêcher par tous les moyens l’acquisition par l’Iran de matériel destiné à des armes nucléaires, et ce, durant plus d’une génération [15 ans, ndla], ainsi qu’un régime d’inspections d’une durée indéterminée visant à détecter et à dissuader rapidement d’éventuelles tentatives de l’Iran de se lancer dans une course clandestine à la bombe nucléaire”. Visiblement, les États-unis font figure d’exception notoire au consensus international. Il est acté que d’importants segments du pouvoir et de l’opinion américaine frôlent l’hystérie sur la question de la “menace iranienne”. D’un bout à l’autre du spectre politique américain, on approuve la conclusion pragmatique du général Martin Dempsey, selon lequel l’accord de Vienne “n’empêche pas les États-unis de frapper les installations iraniennes si les responsables estiment que l’Iran ne respecte pas ses engagements”. Dennis Ross, un ancien négociateur au le Moyen-Orient pour les administrations Clinton et Obama, avertit : “L’Iran doit s’attendre à ce que toute relance de sa course à l’armement nucléaire déclenche un usage de la force” et ce, même au terme de l’accord, lorsque l’Iran sera libre d’agir à sa guise. En réalité, ajoute-t-il, le fait que l’accord arrive à terme au bout de quinze ans constitue “son principal problème”.
Le général Martin Dempsey était le chef d’état-major des armées des Etats-Unis durant les négociations autour du programme nucléaire iranien. Source : Secretary of Defense / Flickr.
Ce que le général Dempsey ne dit pas, c’est que d’autres solutions, moins temporaires, existent pour désarmer la menace iranienne en respectant le droit international. Des partisans eux-mêmes en conviennent, assurant que “pour que l’accord de Vienne ait un sens, l’ensemble du Moyen-Orient devrait renoncer aux armes de destruction massive”. L’auteur de ces propos, le ministre des Affaires étrangères de l’Iran, Mohammad Javad Zarif, a ajouté que “l’Iran, à titre national […] est prêt à collaborer avec la communauté internationale en vue d’atteindre ces objectifs”. Selon lui, l’Iran a signé “un accord nucléaire historique” et c’est désormais au tour d’Israël, “le réfractaire”. La nation juive est une des trois puissances nucléaires, avec le Pakistan et l’Inde, dont les programmes d’armement nucléaire ont bénéficié de l’appui des États-unis et qui refusent de signer le Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP).
La solution la plus radicale et la plus sûre consisterait donc à créer une zone exempte d’armes nucléaires au Proche-Orient. La menace iranienne serait ainsi désarmée. L’Égypte et d’autres États arabes œuvrent en ce sens depuis vingt ans. Partout ailleurs dans le monde, cette idée trouve des adeptes. Cela réjouit les partisans de la paix car seul une adhésion unanime et franche à ce projet pourra mettre fin au fléau de l’armement nucléaire. Mais à maintes reprises, la mise en œuvre d’une résolution s’est heurtée au refus des États-unis. Le président Obama s’y est opposé en 2010 et 2015. Pourquoi donc un État qui ne fait même pas partie du Proche-Orient s’opposerait à une solution qui fait quasiment l’unanimité au sein de la communauté internationale ? Jayantha Dhanapala et Sergio Duarte, deux personnalités chargées de faire la promotion de la résolution ont leur idée. Ils estiment que “l’initiative a […] été bloquée au nom d’un État qui n’adhère pas au TNP et qui, de l’avis général, est le seul dans la région à posséder des armes nucléaires”, une allusion voilée à Israël. Cet échec, espèrent-ils, “ne portera pas le coup de grâce aux deux objectifs de longue date du TNP consistant à procéder rapidement au désarmement nucléaire et à instaurer au Moyen-Orient une zone exempte d’armes de destruction massive”. L’histoire nous l’a déjà prouvé à maintes reprises : les nations font toujours passer leurs intérêts propres avant ceux de la communauté internationale. C’est la raison pour laquelle le projet d’un Proche-Orient exempt d’armes nucléaires n’a jamais été une option pour Washington.
Une menace pour la paix mondiale ?
À en croire la quasi-totalité de la classe politique américaine, l’Iran constitue “la menace la plus grave pour la paix mondiale“. On retrouve le même genre d’accusation au sein des hautes sphères des pouvoirs israéliens et saoudiens. Ces trois nations, alliées de longue date, accusent l’Iran de vouloir se doter d’armes balistiques nucléaires depuis 2002. Si l’on suit le raisonnement de ce triptyque, l’Iran ne peut pas posséder d’armes nucléaires sans risquer de déstabiliser grandement les équilibres fragiles en vigueur dans la région du Proche-Orient. Pourtant, Israël et le Pakistan disposent d’armes nucléaires et font tout deux parties intégrantes du Proche-Orient. Mais à la différence de Téhéran, Tel Haviv et Islamabad compte un précieux allié : les États-unis. Après avoir aidé ces deux pays à l’acquérir, les États-unis ont toujours soutenu le droit de ses deux nations à disposer de l’arme nucléaire pour se défendre. À l’inverse, depuis la chute du Shah, Washington utilise sa propagande pour faire passer l’Iran pour un “État voyou”, agressif et belliqueux et ainsi l’empêcher de se procurer des armes de destruction massive.
La vérité est bien différente. Au cours de son histoire millénaire, l’antique Perse a souvent été envahi et a perdu de nombreux territoires au détriment de ses voisins. Dans un article pour Le Monde Diplomatique, le journaliste Bernard Hourcade décrit parfaitement la stratégie iranienne au fil des siècles : “Parce qu’il est à la fois iranien et chiite, entouré de populations turques ou arabes, sunnites ou chrétiennes, le royaume de Perse n’a pas cherché à conquérir des territoires extérieurs, mais a seulement voulu conserver une influence sur les zones tampons qui entourent le plateau iranien : rive orientale du Tigre, Transcaucasie, mer Caspienne, steppe turkmène, provinces de Herat et de Helmand en Afghanistan, et bien sûr golfe Arabo-Persique.” Même depuis la montée au pouvoir des religieux et des nationalistes en 1979, la menace militaire incarnée par l’Iran est proche du néant pour les États-unis et ses alliés dans la région. Contrairement à ce qu’affirme depuis des années Washington, les doctrines stratégiques de l’Iran sont essentiellement défensives et tout son programme nucléaire militaire est tourné vers la dissuasion.
Les dépenses militaires de l’Iran sont très faibles par rapport à ses voisins saoudiens ou israéliens. Source : Eric Constantineau / Flickr.
Sur ce point, les Américains sont pourtant intransigeants. À l’occasion de l’élection présidentielle de 2016, Lindsey Graham, candidat républicain à la primaire, avait par exemple qualifié l’accord de Vienne “de condamnation à mort pour l’État d’Israël”. Ce genre de déclarations sous-entend clairement que l’Iran aurait les moyens de nuire à ses ennemis. Hors, il n’en est rien et les États-unis le savent pertinemment. Il y a quelques années, le renseignement américain a informé le Congrès que les dépenses militaires de l’Iran étaient modestes, même pour la région. À l’époque, ce rapport avouait que les États-unis ne disposaient d’aucune preuve d’un programme d’armement nucléaire iranien. Quand bien même, cet hypothétique programme et “la détermination de l’Iran à conserver la possibilité de développer des armes nucléaires sont au cœur de sa stratégie de dissuasion”. En avril 2015, quelques mois avant la signature de l’accord de Vienne, un rapport du Centre d’études stratégiques et internationales (CSIS) constatait “de façon probante que les Etats du golfe Persique disposent […] d’un avantage considérable sur l’Iran au chapitre des dépenses militaires comme en matière d’accès aux armements modernes”. En réalité, les dépenses militaires de l’Iran représentent une fraction de celles de l’Arabie saoudite et sont même largement inférieures à celles des Émirats arabes unis. Ensemble, les dépenses des États du Conseil de coopération du golfe (CCG) s’avèrent environ huit fois supérieures à celles de l’Iran. Et ce déséquilibre dure depuis plusieurs décennies. Toujours selon le rapport du CSIS, “les États du golfe Persique disposent et font l’acquisition d’armes parmi les plus sophistiquées et efficaces du monde alors que l’Iran demeure pour l’essentiel enfermé dans le passé, et dépend souvent de systèmes datant de l’époque du shah”. Soit des systèmes virtuellement hors d’usage. Or, il faut bien comprendre que même en adoptant une doctrine militaire basée sur la défense et la dissuasion, sans aucun désir de se projeter à l’extérieur, il est indispensable de disposer de moyens de défense efficaces pour se prémunir d’une attaque étrangère. Si l’on se fie au rapport du CSIS, l’Iran ne représente donc même pas une menace en cas d’invasion par une puissance étrangère. On est bien loin de la plus grande menace pour la paix que nous vend la propagande américaine depuis plus de 15 ans.
Mais soit, prenons la place d’un éminent homme politique américain et imaginons que l’Iran possède l’arme nucléaire. Après tout, le pays a déjà fait des déclarations allant dans ce sens. Le 11 avril 2006, l’ancien président iranien, Mahmoud Ahmadinejad, avait annoncé à la télévision que l’Iran avait “rejoint le groupe de ces pays qui ont la technologie nucléaire”. Téhéran possède donc des armes et des missiles balistiques nucléaires, qu’il peut lancer sur n’importe qui, à n’importe quel moment. En théorie. Car en pratique, aucun analyste sérieux ne croit que l’Iran utiliserait un jour une arme nucléaire ou même menacerait de le faire, se condamnant ainsi à une destruction immédiate.
Le principal commanditaire du terrorisme
Si l’Iran n’est pas une menace militaire, quels sont les griefs qu’entretient les États-unis à son égard ? L’Occident, c’est-à-dire les États-unis et ses alliés, donne souvent à l’Iran le rôle du “principal commanditaire du terrorisme dans le monde”, à cause de son soutien au Hezbollah et au Hamas. Sauf que l’Iran est loin de compter parmi les principaux commanditaires du terrorisme dans le monde, y compris dans le monde musulman. Parmi les théologies islamiques, l’Arabie Saoudite est l’État qui soutient le plus le terrorisme islamiste, à travers le financement direct émanant de richissimes Saoudiens, mais surtout par le zèle missionnaire avec lequel ils diffusent leur version rigoriste de l’islam par l’intermédiaire d’écoles coraniques, de mosquées, de mollahs et des autres moyens à la disposition d’une dictature religieuse immensément riche. Mais le champion incontesté de la terreur islamiste, ce sont les États-unis en personne. Avec leur guerre contre le terrorisme, engagée après les attentats du 11 septembre, Washington a facilité la propagation de l’épidémie, d’une petite région tribale à la frontière entre l’Afghanistan et le Pakistan à une vaste zone s’étendant de l’Afrique de l’Ouest à l’Asie du Sud-est. À elle seule, au cours de sa première année, l’invasion de l’Irak a multiplié par sept les attentats terroristes. Depuis leur utilisation comme arme en 2001, les drones ont fait des milliers de morts. Et tout autant de nouveaux terroristes, qui nourrissent envers les États-unis un ressentiment sanguinaire.
L’Iran a souvent été accusé de soutenir, voir de diriger en sous-main, le Hamas palestinien, considéré comme organisation terroriste par de nombreux Etats et institutions. Source : Wikipédia.
En grattant sous le vernis policé de la propagande occidentale, on remarque bien vite que l’état voyou n’est pas celui qu’on croit. Oui, l’Iran n’est pas un modèle dans le respect des droits de l’Homme mais il est loin d’être le pire dans ce domaine. Tout comme il est loin d’être le plus grand soutien au terrorisme islamique. Et contrairement aux menaces agitées par les États-Unis, l’Arabie Saoudite ou Israël, l’Iran est très loin de représenter une menace militaire. Les dirigeants iraniens ont-ils l’intention de développer des armes nucléaires ? Libre à nous d’y croire ou pas, mais le fait qu’ils en aient nourri le projet par le passé n’est pas matière à débat. Ironie des alliances et jeux de pouvoir international, il y a plus de cinquante ans, c’est sous la pression des hauts-responsables américains que l’Iran du Shah lançait son premier programme nucléaire. À l’époque, Washington encourageait même les universités américaines les plus réputés à collaborer avec les scientifiques de Téhéran. Depuis, les alliances se sont inversées et les marques d’hostilités des États-unis et de ses alliés se sont étendues au sabotage, au meurtre de scientifiques nucléaires et à la cyberguerre. Qu’a donc bien pu faire l’Iran, en l’espace de 50 ans, pour inspirer autant de crainte et de haine chez les États-unis ? Qui se sent inquiété du rôle purement dissuasif de l’Iran ? La réponse, simple et logique, nous est expliqué par l’intellectuel américain Noah Chomsky dans son ouvrage Qui mène le monde ? : “Les États voyous qui saccagent la région et ne sauraient tolérer la moindre entrave à leur recours à la violence et à l’agression. Les chefs de file sur ce plan sont les États-unis et Israël. […] Pour les États-unis, la caractérisation n’a rien d’inédit. Ils sont depuis plusieurs décennies considérés par la majorité du reste du monde comme le premier état voyou au monde. Il arbore d’ailleurs ce titre avec fierté […] C’est là le véritable sens de l’entêtement des dirigeants et de la classe politique à préserver le droit des États-unis à recourir à la force s’ils estiment, de façon unilatéral, que l’Iran a manqué à un engagement.” Le linguiste de renom voit juste sur deux points. Il est certain qu’une nation iranienne disposant de l’arme nucléaire serait en mesure de dissuader efficacement Israël de construire de nouvelles colonies illégales en Cisjordanie. De même, si l’Iran avait disposé d’une arme nucléaire en 2003, pas sûr que Washington aurait décidé d’envahir l’Irak pour des motifs fallacieux. On comprend donc tout l’intérêt pour les États-unis d’empêcher l’Iran d’acquérir des armes nucléaires. Cela réduirait considérablement le champ d’action de Washington et de Tel Haviv dans la région. Deuxièmement, si pour les États-unis, la principale menace à la paix dans le monde est l’Iran, le monde ne se limite pas à sa première puissance. Selon plusieurs instituts de sondages occidentaux, le statut de “principale menace” appartient aux États-unis avec une avance confortable sur le deuxième, le Pakistan – un allié important de Washington. L’Iran se classe derrière ces deux nations, aux côtés de la Chine, d’Israël (un autre allié des États-unis), de la Corée du Nord et de l’Afghanistan.
Un avenir vers l’Est pour Téhéran
Alors que nous approchons du quatrième anniversaire de l’accord de Vienne, qu’en reste-t-il après le retrait des États-unis ? Loin de se replier sur elle-même, la République islamique essaye encore aujourd’hui de faire marcher cet accord. Il repose désormais essentiellement sur les épaules de l’Union européenne et Téhéran attend beaucoup d’elle. Mais les relations entre les deux partenaires se sont quelque peu refroidies ces derniers mois. Les Européens sont échaudés par des attaques et des tentatives d’assassinats contre des opposants iraniens, en France, aux Pays-Bas et au Danemark depuis 2015. En retour, Téhéran a été déçu par un mécanisme financier européen, baptisé Instex, qui doit permettre de maintenir un semblant de relations commerciales avec le pays. Le ministre des Affaires étrangères iraniennes, Mohammad Javad Zarif, a exprimé sa frustration en février dernier à la Conférence sur la sécurité de Munich : “Nombreux sont ceux à travers le monde, et particulièrement sur ce continent, qui parlent avec éloquence de multilatéralisme, mais il leur reste encore à agir, a-t-il affirmé. L’Europe doit se décider à se jeter à l’eau si elle veut aller contre un dangereux courant d’unilatéralisme américain.”
Mohammad Javad Zarif, le ministre des Affaires étrangères iranien et Catherine Ashton, ancienne Haute représentante de l’Union européenne. Source : European External Action Service / Flickr.
Cet unilatéralisme a pour principale conséquence de pousser l’Iran dans les bras des autres partenaires signataires du traité, ennemis idéologiques des États-unis. Le Guide suprême l’a affirmé dès février 2018 : l’Iran penche désormais à l’Est, vers la Russie et la Chine, sans plus chercher l’équilibre avec l’Occident, un principe directeur inscrit dans la Constitution de 1979. La priorité est désormais de contrer la pression américaine. Pire, si l’Union européenne ne passent pas outre les sanctions américaines et que la stratégie de l’Iran échoue, Téhéran pourrait reprendre son enrichissement d’uranium sans limite, contrairement à ce que prévoit l’accord. Ce départ des États-unis pourrait donc précipiter les Iraniens vers une direction que ni les Européens ni les Américains ne souhaitent. À moins que Washington ne se servent de cette nouvelle direction pour changer le régime au pouvoir à Téhéran. C’est la conviction intime de l’Ayatollah Ali Khamenei. “Le Guide estime que la stratégie des Occidentaux est d’abord déterminée par les Etats-Unis et leur volonté de provoquer un changement de régime”, relève Clément Therme, analyste à l’International Institute for Strategic Studies, un think tank britannique.
Quatre ans après un accord historique, la crise du nucléaire iranien est finalement loin d’avoir été résolue. Les relations commerciales entre l’Iran et l’Occident ont bien repris, mais de manière timide. Au Proche-Orient, les tensions entre Téhéran et Riyad se sont encore accentuées avec la guerre au Yémen, où chacune des deux puissances régionales soutient un camp rival. Israël, ennemi idéologique ultime de l’Iran, continue d’assassiner des scientifiques iraniens. Quant aux relations avec les États-unis, elles se sont encore dégradées avec l’accession au pouvoir de Donald Trump et les excursions à l’étranger des gardiens de la Révolution (corps militaire d’élite fondé après l’avènement de la République islamique en 1979). Habituellement en usage en Iran, les gardiens se sont récemment exportés en Irak et en Syrie. Cette nouvelle politique militaire a motivé la décision des États-unis de placer les gardiens de la Révolution sur la liste des organisations terroristes. Aux gestes politiques continuent de se joindre les attaques verbales contre le régime de Téhéran. Dernière en date, le 25 février 2019, le secrétaire d’État américain, Mike Pompeo, a qualifié Mohammad Javad Zarif et le président Rohani de “visage d’une mafia religieuse corrompue”, en n’oubliant pas d’ajouter que “le régime doit se comporter comme un pays normal et respecter son peuple”. Si l’avenir de la République islamique apparaît encore plus flou qu’en 2015, une chose semble certaine, la propagande malsaine des occidentaux n’a pas fini de menacer l’Iran.
Le W