Liberato, la romance à la napolitaine
Liberato, la romance à la napolitaine

Liberato, la romance à la napolitaine

Quasi inconnu en France, Liberato est l’un des chanteurs les plus en vogue de l’autre côté des Alpes. Alors que ses mélodies naviguent entre électro et chanson italienne pour faire danser la jeunesse transalpine, ses clips subliment Naples et sa campagne. Décryptage d’un virtuose du son et de l’image.

Liberato est une anomalie dans le paysage musical de 2019. Alors que les nouveaux artistes doivent autant briller par leur musique que par l’image qu’il renvoie à leurs fans, le chanteur napolitain emprunte la voie des Daft Punk, de Gorillaz ou de Slipknot et cache son identité sous une capuche. Il va même plus loin, puisqu’en 2019, tout le monde ignore encore le véritable état civil de celui qui se fait appeler Liberato (libre en italien). Comment s’appelle-t-il ? A quoi ressemble-t-il ? Si comme de nombreux fans, vous vous posez ces questions, voici de quoi vous faire gagner du temps. Premièrement, n’espérez pas découvrir qui se cache derrière le phénomène en scrutant sa chaîne YouTube. A l’opposé de la pop ou du rap, les clips narcissiques où le chanteur principal apparaît sur tous les plans sont prohibés. Il vous reste alors les réseaux sociaux pour essayer d’en savoir plus sur ce mystérieux napolitain à la voix douce. Oubliez tout de suite Facebook ou Twitter, où vous avez l’habitude de suivre et d’interpeller vos artistes préférés. Pendant longtemps, Tumblr était la seule porte d’accès, autre que la musique, à l’univers de Liberato. Un monde composé de weed, du Napoli SC et de photos de sa ville. Sa notoriété grandissant, l’artiste a dû se résoudre à ouvrir un compte Instagram pour faire la promotion de ses derniers clips ou concerts.

Il vous reste alors les médias. Ils ont forcément enquêté sur la star montante de la pop urbaine italienne et peut-être même décroché une interview ? Encore raté. Son seul entretien, accordé à la version italienne de Rolling Stone, est une série de SMS et ne nous apprend pas grand-chose sur l’artiste. A vrai dire, ce flou donne une raison de penser que, là où on imagine un unique chanteur, il pourrait tout à fait y avoir un groupe, ou même une femme. Mais peu importe le sexe de Liberato, peu importe également que son abstinence médiatique soit un simple coup de com ou un concept réfléchi. Seul compte sa musique, celle qui a fait de lui une véritable star en Italie.

Modernité et traditions

La success-story du napolitain débute en février 2017. C’est le 14 février, le jour des amoureux, que Liberato poste son premier clip, intitulé Nove Maggio. La date est tout sauf anodine, puisque le chanteur y raconte une déception sentimentale sur fond d’images de Naples où l’on suit une jeune danseuse de 11 ans. Le style pop urbaine, la mélodie entraînante et la voix douce de Liberato accrochent rapidement le public. En mai 2017, le napolitain sort une nouvelle chanson, Tu t’e scurdat’ ‘e me (Tu m’as oublié), l’une des plus représentatives de son style. Mélangeant rap et électro, dialecte napolitain et anglais, la chanson raconte les joies et déboires d’une relation amoureuse entre deux adolescents. La production, à la croisée de la trap et du R&B, contrebalance des paroles au ton plus traditionnel. Il en ressort une chanson extrêmement mélodieuse, très douce, et romantique. L’harmonie générale est renforcée par le choix de chanter en napolitain. S’il est le langage mélodique par excellence, c’est également une langue menacée de tomber en désuétude. Liberato a donc choisi de la défendre à travers sa musique. C’est une des raisons de son succès. Les Italiens eux-mêmes ont des difficultés à le comprendre, ce qui participe à le rendre plus doux et mélodieux aux oreilles des fans. A l’image de l’anglais pour les non-bilingue, le napolitain fait appel à la sensibilité musicale des auditeurs pour se faire comprendre. Puisqu’on ne saisit pas littéralement ce qui est chanté, il faut laisser son imagination s’emparer de la mélodie pour l’apprécier.

C’est donc un public qui ne comprenait qu’à moitié ses chansons qui a été séduit en premier par le chanteur napolitain. Les deux métropoles que sont Rome et Milan ont été les premières à danser sur les balades de Liberato. Naples la découvert ensuite, notamment grâce à Roberto Saviano. L’auteur du best-seller Gomorra lui a souhaité la “bienvenue” dans un post Facebook, où il se dit “drogué” à Liberato. Il faut dire que l’artiste mystérieux a de sérieux arguments pour convaincre dans sa “ville”. Il offre enfin une alternative sérieuse, même s’il s’en inspire sur ses paroles, à la musique néo-mélodique napolitaine, sorte de variété locale un peu kitsch. Les milieux mafieux raffolent tellement de cette musique qu’ils payent les artistes pour venir jouer des concerts privés à l’occasion de l’anniversaire ou du mariage de leurs filles. Avec ses productions plus proches de la trap que la variété, Liberato a modernisé les fêtes de famille mafieuse tout en gardant l’inspiration mièvre représentative d’un certain romantisme italien.

Autre atout pour convaincre les napolitains, Liberato revendique fièrement son identité dans sa musique. Ses paroles et ses clips sont truffés de références précises à des lieux et des quartiers emblématiques de Naples. Rien que dans Tu t’e scurdat’ ‘e me”, il évoque le quartier de Forcella, une enclave populaire au cœur de Naples, et Mergellina, une ville côtière très populaire. Liberato est napolitain, il veut le faire savoir et montrer dans sa musique qu’il connaît sa ville : les endroits branchés où sort la jeunesse, les criques où les familles viennent se rafraîchir ou encore les ruelles où circulent des adolescents en scooter.

Nos clips méritent le festival de Cannes

L’hommage à Naples et à la Campanie (région de Naples) ne s’arrête pas seulement au texte. Tout comme la musique de Liberato. Celle-ci continue à vivre à travers ses clips, tous plus beaux et chargés de sens les uns des autres. C’est un napolitain expatrié à Rome, Francesco Lettieri, qui réalise toutes les vidéos de l’artiste. Tous deux fiers de leurs origines, le rappeur et le vidéaste subliment leur pays natal avec des clips d’une beauté cinématographique. L’esthétisme et le réalisme sont au cœur de la démarche artistique et se mettent au service de la promotion de Naples. Chaque nouveau film nous fait découvrir un aspect, un quartier ou un trésor naturel ou architectural du pays napolitain. Nove Maggio est une ode à Naples en général et plus particulièrement au foot, qui fait parti de la vie quotidienne de milliers de napolitains. Les deux compères y suivent une jeune danseuse qui se déplace en scooter, le moyen de transport préféré des jeunes napolitains. L’occasion de filmer le stade San Paolo, la côte avec le Vésuve en toile de fond ou bien encore de nous montrer ces fameuses peintures de Maradona, qui ornent certains murs de Naples. Dans Me Staje Appennenn’ Amo, on se retrouve propulsé de la terre cendrée du Vésuve à la place del Plebiscito, l’une des plus emblématiques de Naples. Dans sa dernière série de clips, paru en mai 2019, l’artiste choisi de nous faire découvrir l’île de Capri, située dans la baie de Naples. Il en ressort une nouvelle image de Naples, plus romantique, plus douce et plus agréable que celle véhiculée en boucle depuis 4 ou 5 ans, avec les clips des rappeurs et la série Gomorra. Francesco Lettieri a expliqué sa démarche à une journaliste de Clique : “c’est vu comme un monde de gangsters et de crime, à l’étranger comme en Italie. Nous, on a une approche différente. Tu vois, dans Gomorra, il est impensable de voir la mer comme on la montre nous : belle, avec le Golfe de Naples, le Vésuve…

Si ses clips peuvent parfois être perçus comme des œuvres à part entière, il ne faut pas faire l’erreur de les dissocier de la chanson. Les deux se répondent dans un jeu de rythme et d’images, le romantisme de la musique n’ayant rien à envier à celui de la vidéo. Les jeux de lumières sont nombreux et embellissent le territoire. On y retrouve des couleurs vives et chaudes, comme un hommage au caractère sanguin des napolitains. Francesco Lettieri porte un regard moderne sur sa ville et en même temps respectueux de son passé et de ses traditions.

Cet amour pour l’ancien se reflète aussi dans la vision romantique de Liberato. Et atteint son paroxysme avec CAPRI RDV, une romance à travers les âges qui raconte l’amour et la séduction entre une actrice française et un napolitain. L’histoire débute sur le tournage d’un film dans les années 60 pour se conclure à Capri en 2019, non sans nous avoir auparavant montré les années 70 et 80. Tourné en cinq épisodes, et autant de chansons, CAPRI RDV, que l’on pourrait considérer comme le premier projet de Liberato, est l’aboutissement d’un concept de série musicale. Depuis sa deuxième vidéo, Tu t’e scurdat’ ‘e me, l’artiste a pris l’habitude de faire se répondre ses musiques. Après avoir raconté avec douceur et bienveillance la première histoire d’amour de deux adolescents, Liberato décline leur rupture dans deux nouveaux sons : Je te voglio bene assaje et Intostreet. Chaque clip nous montre le point de vue d’un des amoureux.

Un avenir à l’étranger ?

Avec seulement onze titres sortis en deux et demi, il est peu dire que Liberato n’est pas très prolifique. Et le fait d’accompagner chaque titre d’un clip ne risque pas d’augmenter pas le rythme de sortie de l’artiste. Le napolitain aime prendre son temps avant de sortir une musique. L’artiste est d’autant plus enclin à faire patienter ses fans qu’une large partie de la jeunesse italienne l’a déjà adopté. En mai 2018, 20 000 personnes étaient venues le voir à un concert organisé à Naples. Mais comme n’importe quel artiste qui percerait en 2019, Liberato se doit de confirmer, de prouver qu’il n’est pas qu’une mode éphémère et qu’il peut s’inscrire durablement sur la scène musicale italienne. Il lui faudrait pour ça sortir un album ou tout du moins un projet plus long que les cinq titres de CAPRI RDV. Mais il est aussi parfaitement imaginable que cet artiste discret et méticuleux se refusent à suivre les diktats de l’industrie et choisisse de poursuivre dans sa démarche de rareté.

Une autre interrogation subsiste pour les rares auditeurs français de Liberato. Sa musique peut-elle s’exporter en France et connaître le même succès que de l’autre côté des Alpes ? Des arguments vont dans ce sens. Si ses productions sont plutôt orientées rap, elles empruntent des mélodies à l’électro, la musique internationale par excellence. On n’imagine sans peine un DJ passer du Liberato en club, que ce soit en Italie ou en France. Après tout, pas besoin de comprendre les paroles pour danser. Et quand bien même le public français est difficile et aime saisir les enjeux des musiques qu’ils écoutent, les chansons de Liberato sont truffées de mots et phrases en anglais. Les “I love you” ou “Baby, tell me why” (sur Je te voglio bene assaje) participe à l’internationalisation de sa musique et à son acceptation par un public étranger. Le chanteur s’est même permis de placer quelques phrases en français dans sa série CAPRI RDV. Liberato pourrait ainsi rejoindre Ghali et Sfera Ebbasta et devenir une des têtes d’affiches de la musique urbaine italienne, sans même que l’on sache qui se cache derrière le pseudo.

Le W

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *