Les multinationales et les clubs de foot se ressemblent plus qu’il n’y paraît. Tout deux gagnent et dépenses des centaines de millions d’euros, en investissements ou transferts. Clubs et entreprises sont également soumises aux mêmes évolutions des pratiques managériales. La bonne humeur, la relaxation et la réduction des niveaux hiérarchiques ont fait leur apparition dans les firmes de la nouvelle économie et s’attaquent désormais au monde du sport. Certains de ces concepts peuvent expliquer les réussites de quelques coachs. À l’inverse, les entraîneurs en difficulté semblent suivre des principes que le management moderne fuit.
Proximité et flexibilité. Voilà, en 2018, la nouvelle mantra des start-up et des multinationales de la nouvelle économie. Moins de hiérarchie, plus de prises de paroles et d’initiatives de la part des employés sont la nouvelle recette miracle du management moderne. On demande au manager de savoir écouter et mettre en confiance son personnel. On s’approche même d’une situation où le manager s’adapte à ses collaborateurs et non plus l’inverse. De nombreuses entreprises ont cédé aux sirènes du management doux à faibles niveaux hiérarchiques. Les plus jusqu’au-boutistes ont même adopté le système de “l’entreprise libérée“, où l’employé est quasiment libre de ses actes. Ainsi, si des entreprises comme Google sont à la pointe de l’animation d’entreprise moderne, des entraîneurs illustrent ce nouveau paradigme dans le football. Trois hommes en particulier ont marqué le monde du ballon rond par leur management moderne.
Le premier de ces coachs est aussi celui qui a connu le plus de succès en club. Comment parler de coaching sans mentionner Zinédine Zidane. De retour au Real Madrid depuis le mois de mars 2019, Zidane revient dans le club avec lequel il a remporté trois Ligues des champions d’affilé en tant qu’entraîneur (de 2016 à 2018). Une performance qu’il n’a pas réalisée grâce à une tactique révolutionnaire mais plutôt grâce à sa gestion de ses hommes. Ses créateurs et techniciens se sont vus offrir beaucoup plus de liberté pour s’exprimer. Sous Zidane, Cristiano Ronaldo était libre sur le terrain, à la fois dans son positionnement mais également dans ses choix offensifs. Une décision qui a porté ses fruits tant Ronaldo a été décisif sur le terrain, lui qui a été récompensé par deux Ballons d’or en 2016 et 2017. Cette liberté offensive n’aurait pas été possible sans l’introduction de joueurs prêts à se sacrifier en défense pour les autres comme Karim Benzema ou Casemiro. À l’image des entreprises où les cadres sont plus libres, les salariés lambda sont davantage contraints et doivent réaliser les tâches qu’on leur impose. David Bettoni, adjoint de Zidane, expliquait la force de l’entraîneur français après la dernière finale de Ligue des champions remportée : “Il excelle dans le management, le rapport humain. Et il demande aux joueurs de prendre du plaisir”. Même analyse du côté de Francisco Pavon, ancien coéquipier de Zidane au Real, qui affirmait en 2016 à Téléfoot : “Les joueurs sont plus libérés. Avant, ils étaient enfermés dans des rôles très tactiques, et aujourd’hui, en plus de bien travailler tactiquement, ils ont une liberté offensive qui leur permet d’être plus créatif”. La créativité, une qualité que l’on retrouve également dans le lexique du bon manager d’entreprise.
L’ancien numéro 10 n’est pas le seul français à avoir la cote chez les entraîneurs. Didier Deschamps, sélectionneur de l’équipe de France et ancien coach de l’OM et de la Juventus, a ajouté à son palmarès une victoire en Coupe du monde et une finale – perdue – d’Euro. En sept ans à la tête de l’équipe de France, Deschamps est passé de bon entraîneur de club à l’un des tout meilleurs coachs disponibles sur le marché. Il est l’un de ceux qui représente le mieux cette tendance à réduire la distance entre les joueurs et l’entraîneur. Les images du sélectionneur des Bleus en liesse avec ses joueurs ou en train de prendre une douche de champagne ont ravi les Français cet été. Et elles sont loin d’être une nouvelle forme de communication. Ces scènes sont naturelles, sincères et c’est pour cela qu’elles plaisent autant. La force de Deschamps a été de créer de la proximité avec ses joueurs. Il a compris qu’ils attendaient de la pédagogie, pas un coach multipliant les injonctions. Ce rapprochement facilite aussi l’acceptation des consignes. Le sélectionneur va même encore plus loin en incorporant les joueurs au processus de décision concernant des aspects du jeu aussi variés que le schéma tactique, l’animation, ou la composition. L’avis des joueurs comptent et c’est particulièrement en ce sens que le management de Deschamps est moderne.
Les Français ne sont pas les seuls entraîneurs à connaître le succès. L’Allemagne et le Portugal forment aujourd’hui de nombreux coachs talentueux. Ainsi, Dortmund a récemment été entraîné par Jürgen Klopp, un chantre du management moderne. En mars 2019, il se prêtait au jeu de l’auto-analyse pour Canal+ : “Je suis l’ami de mes joueurs, mais je ne suis pas leur meilleur ami. Mon travail consiste à les aider à jouer au football au maximum de leurs capacités et de leur potentiel. […] Je dois être proche d’eux.” Klopp est l’un des exemples le plus marquant de la proximité entre les joueurs et leur entraîneur. Robert Lewandowski, a beaucoup vanté les qualités humaines de son ancien coach : “C’est comme une figure paternelle et comme vous avez confiance en lui en tant que joueur, cela vous laisse complètement ouvert à sa méthode, à ses idées. Sur le long terme, vous y voyez toujours un bénéfice pour votre jeu et pour l’équipe”.
L’échec de la rigueur et de la distance
A l’inverse, certains coachs, comme de nombreux managers d’entreprises, préfèrent conserver de la distance avec leurs joueurs. Il faut respecter les consignes et il n’y a qu’un maître à bord, l’entraîneur. Si ces pratiques plus traditionnelles restent ancrées dans de nombreuses entreprises sans poser de problème, elles mènent souvent à l’échec dans le foot. Deux fiascos récents illustrent la mauvaise gestion humaine des entraîneurs.
“The Special One”. C’est le surnom qu’endosse José Mourinho depuis 2004. Autoproclamé spécial à son arrivée à Chelsea, le tacticien portugais est le symbole de l’entraîneur starisé. Mourinho est clivant et adore jouer le rôle du méchant. A de nombreuses reprises, il s’est créé des rivalités avec les entraîneurs des équipes concurrentes ajoutant parfois le geste à la parole : rappelons nous le doigt dans l’oeil de Tito Vilanova, les punchlines sur la calvitie de Pep Guardiola ou sur le poids de Raphaël Benitez. Mais son meilleur ennemi reste Arsène Wenger, avec qui il en est presque venu aux mains. Ces méthodes cavalières permettent à Mourinho d’enlever la pression médiatique de ses joueurs. Cela ne l’empêche pas de fustiger dans les médias les joueurs qu’il ne juge pas au niveau. Cette médiatisation de Mourinho a souvent provoqué des guerres d’ego au sein des vestiaires qu’il a dirigé. Le lusophone veut tout gérer, être le seul décideur, la star de son équipe. Il n’hésite pas à prendre des décisions controversées à l’encontre de son groupe. L’exemple le plus symbolique est sans doute sa gestion de la paternité de ses joueurs. Alors encore en place à Manchester United, Mourinho va dénoncer l’absence d’Anthony Martial alors que celui-ci assiste à la naissance de son dernier enfant. Le même été, Jürgen Klopp demandait à Nathaniel Clyne, dans le même cas, de prendre son temps pour revenir dans le groupe. Cet exemple illustre les différences entre les tendances modernes et classiques du management des hommes. José Mourinho est un très grand entraîneur mais chacun de ses mandats se solde par une rupture violente avec un vestiaire en crise qu’il s’est mis à dos. L’entraîneur portugais s’appuie sur des méthodes et des ressorts efficaces à court terme, ce qui permet à l’équipe d’être compétitive tout de suite. Mais sa démarche ne laisse pas le groupe indemne. Les performances se répètent jusqu’au faux pas, et une fois que les résultats ne suivent plus, il devient très difficile de remotiver les troupes.
La France est un terreau fertile pour les entraîneurs. Si les exemples de réussite sont nombreux, tous n’ont pas eu la chance d’avoir un parcours glorieux. Lorsque Thierry Henry arrive en tant que coach à Monaco, son ancien club, il est auréolé d’une carrière fantastique en tant que joueur. Son passif d’entraîneur sera moins brillant. Une nouvelle fois, la médiatisation trop importante d’un coach va générer des problèmes en interne. A plusieurs reprises, l’ancien attaquant des Bleus a voulu prendre toutes les responsabilités des défaites de son équipe. En conférence de presse, Thierry Henry n’a pas hésité à assumer les mauvais résultats de l’équipe. Un entraîneur qui reconnait ses torts, vous demandez sûrement où le problème. En réalité, l’entraîneur n’a pas été capable de comprendre que ses joueurs n’étaient pas tous des génies techniques, comme lui à son époque. Son passé de joueur lui a joué des tours. Incapable d’écouter ses joueurs et de s’adapter à eux, le Français est resté figé à ses principes et a manqué de pédagogie, ce qui a précipité son échec pour sa première expérience d’entraîneur principal. Aleksandr Golovin, international russe de Monaco, a dénoncé ces comportements d’Henry : “Peut-être qu’il n’a pas pu faire abstraction de son passé de joueur. Quand les choses n’allaient pas à l’entraînement, il devenait nerveux et criait beaucoup. Ce n’était peut-être pas nécessaire. Il venait alors sur le terrain et nous montrait ce qu’il fallait faire. Il s’emparait du ballon et nous demandait d’essayer de le lui prendre. Les joueurs restaient calmes, même si certains ont peut-être été un peu choqués“. Dans une entreprise comme dans une équipe, le rôle du chef moderne est de créer un groupe, de fédérer les gens et de les faire travailler ensemble. Si les aspects tactiques d’une équipe ou les organisations d’entreprise peuvent évoluer, c’est le dialogue, le sentiment d’appartenance et la motivation qui sont les facteurs clés de la réussite moderne.
“Enfin, […] les rapprochements, les passerelles y apparaissent nombreux et clairs entre le sport de haut niveau et le monde de l’entreprise. Ce ne sont pas les mêmes univers – on peut perdre un marché et rester dans la course alors qu’en coupe un match perdu, et c’est fini – mais au quotidien, pour ce qui est des exigences de performance, les deux font appel aux mêmes ressorts d’investissement et de dépassement de soi au service du collectif.” Ces propos de Didier Deschamps dans la préface de l’ouvrage Leçon de Leadership, sont une preuve de plus de la connexion particulièrement proche entre management et coaching. Dernier exemple en date, le mardi 7 mai 2019, le monde du football connaît un tremblement de terre lors des demi-finales d’une Ligue des champions qui ne cesse d’étonner les observateurs et les fans. Vaincu 3-0 au match aller, Liverpool terrasse Barcelone 4-0 à Anfield avec une équipe amputée de trois de ses meilleurs joueurs. Inattendue et magistrale, la victoire des Reds est celle de ses remplaçants, tous décisifs. Pendant le tournage de l’After Foot, dans le studio parisien de RMC à six cents cinquante kilomètres de là, Daniele Riolo analyse cette victoire : ”C’est le management ! C’est la façon dont tu impliques tout le monde”.
Le B