Autoproclamé “touche à tout” et véritable nomade numérique, Hind est une figure importante de la culture sur l’internet français. Femme aux multiples casquettes, elle s’est imposée au fil du temps par son travail et sa passion dévorante pour l’écriture, le football, la musique ou la ville de Naples. Un cocktail de Zulumud en somme. Pourtant, rien n’était gagné. De l’informatique au journalisme, portrait de celle qui “ne rentrera jamais dans un cadre”.
Entretien réalisé le 04 Mars 2021
Si Hind s’est faite connaître sur le terrain du journalisme, rien ne semblait prédisposer le fait qu’elle brille dans ce secteur. Arrivée du Maroc, il y a onze ans pour suivre ses études en France, elle n’est jamais passée sur les bancs d’une école de journalisme. Un ensemble de barrières qui en auraient découragé plus d’une tant les médias traditionnels peuvent faire preuve de conservatisme. Mais malgré les nombreuses désillusions et la précarité du milieu, Hind s’est constamment battue pour atteindre son rêve de liberté. Loin d’être un long fleuve tranquille, cette aventure médiatique l’a beaucoup plus enrichie humainement que financièrement. Un succès d’estime pour cette personne entière qui a toujours affirmé ses principes, ses valeurs et sa déontologie.
Après une licence Administration Economique et Sociale, elle s’engage dans un master de management au sein d’une université parisienne. Des études qui vont forger la vision économique d’une femme qui a toujours revendiqué le droit à émettre un discours politique. Pendant plusieurs années elle va sévir dans le secteur de l’informatique en tant que consultante. Une expérience qui a forgé sa force de caractère et sa volonté de réussir. Jusque là, le foot et le journalisme semblent bien loin. Passionnée par ce sport mais aussi par la musique et l’écriture, Hind décide en 2016 de créer son premier blog pour avoir son propre espace d’expression. Une vision qui nous parle chez Zulumud. Elle prend le parti d’avoir un site centré sur le foot avec une dimension satirique. “J’avais des passions et je voulais pouvoir en parler”. Sans aucune pression, de manière sérieuse mais peu structurée, la créatrice voulait juste “écrire des choses marrantes” et prendre du plaisir. Elle élargit peu à peu son offre avec du contenu amateur et des reportages près de chez elle. Elle assure cette production à côté de son activité professionnelle. “C’était le moyen le plus accessible de partager ce que j’écrivais. J’ai toujours écrit. J’ai publié un premier roman quand j’étais très jeune, il était très mauvais, ne le cherchez pas.” Grâce à son expérience et aux réseaux sociaux, de nouvelles opportunités et possibilités se présentent.
Hind passe par plusieurs médias bénévoles et participe à la construction de la culture football sur internet. Elle devient auto-entrepreneuse et écrit pour plusieurs sites. Très rapidement, ses idéaux politiques et déontologiques ne collent pas avec le modèle publicitaire de ces médias. En 2018, elle décide de quitter l’informatique pour se dédier au journalisme. Elle commence à collaborer avec les Cahiers du foot et à accumuler les expériences terrain. Au fil du temps, elle fait également évoluer son site plusieurs fois. Loin de vouloir s’enfermer dans le foot, elle fait le choix de combiner ses deux passions en créant un site rock et foot, avant de le restructurer pour gagner en crédibilité en tant que journaliste. Elle essaie tout de même de conserver sa ligne éditoriale, très appréciée et suivie par sa communauté. Un cocon familial s’est forgé autour d’elle. “Cinq ans après, ils prennent toujours des nouvelles alors que l’on ne s’est jamais rencontré. Certains sont devenus des amis. Des gens se souviennent de ce que j’ai écrit il y a cinq ans”. Dans le même temps, elle enchaîne les expérimentations éphémères, le plus souvent autour du football. Elle a par exemple, récemment, discuté avec des sportifs qui ne s’entraînaient plus pendant le confinement. Hind se soucie peu des chiffres et de son audience. “Je suis dans mon coin et je fais ce que j’aime”. Au point qu’elle ne prend pas toujours conscience de sa renommée et du respect qui lui est accordé. “Je suis toujours surprise quand je propose un article et qu’on me dit “Ah, oui je te connais” A l’automne 2020, elle démarre une nouvelle aventure sur Twitch. Ouvertement inspirée par Ostpolitik, figure de proue des matinales type radio de la plateforme de streaming, elle crée sa propre émission, orientée culture et football. Une expérience qui lui plaît, mais qu’elle arrêtera au bout de quelques semaines, par manque de temps. Preuve qu’elle les a encore marqués, ses followers demandent régulièrement quand est-ce que son émission reviendra.
Twitter est l’outil qui a rendu cette ascension possible. Internet a cassé les codes de la création et de l’accès à l’information. Une grande chance qui a permis de renouveler les discours ou les manières de traiter l’information. L’expertise ne se prouve plus uniquement par un parcours scolaire ou de la connivence mais aussi par de la compétence. Hind se réjouit que ce nouveau mouvement médiatique ait fait bouger les acteurs traditionnels. “On a énormément de contenus de qualité, c’est incroyable. Que ce soit Lucarne Opposée, Furia Liga, Tout le monde s’en foot, ou Hors-Jeu, aujourd’hui il y a une diversité et de la qualité. Il y a même une reconnaissance de ce travail là. Ces médias sont cités à la télé, à la radio, dans la presse écrite. Je connais bien Nicolas Cougot, le fondateur de Lucarne Opposée. Avec ce projet, il a pu commenter des matchs de Copa Libertadores (ndlr : Ligue des Champions en Amérique du Sud) pour RMC”. Elle reconnaît que sans Twitter, jamais son travail n’aurait connu une telle médiatisation. Jamais elle n’aurait eu les mêmes opportunités. Elle retient beaucoup de positif de ce réseau très décrié. Pour autant, elle ne nie pas les côtés négatifs du réseau. Particulièrement la toxicité qui règne sur la plateforme. Elle est d’ailleurs revenue sur les insultes ou le harcèlement qu’elle a pu connaître du fait de son genre (voir article à paraître le 15/03). Elle dénonce aussi l’exigence et la critique des followers. La journaliste regrette la méconnaissance qu’ont les gens sur la précarité dans le milieu journalistique .“C’est pas parce que l’on a 25 000 followers sur Twitter que l’on gagne bien sa vie. C’est pas parce que l’on écrit pour l’Equipe ou France Football que l’on gagne bien sa vie”. D’après elle, ce comportement dépasserait même les bornes quand les fans, qui ne dépensent rien, exigent une image parfaite, du contenu particulier, de la proximité et de l’exemplarité. Tout ceci mène à une déshumanisation du journaliste et du créateur.
Hind s’apprête à entamer une nouvelle page dans sa carrière. Après une récente déconvenue professionnelle, son activité va changer. En premier lieu, il s’agit d’une question de stabilité financière. “Pour créer des contenus sur Internet et en vivre, il faut un luxe de temps. Il faut certains moyens pour pouvoir se lancer. Quand on a un travail à temps plein, c’est très difficile d’avoir une continuité. Parfois ça m’a frustré, notamment quand j’ai dû arrêter la matinale”. Ainsi plusieurs contenus de long terme et plus flexibles en investissements sont au programme. Deux ouvrages sont en préparation dont un sur la ville de Naples, sa ville coup de cœur dont elle est tombée amoureuse. Les fans qui avaient découvert la voix de Hind pendant sa matinale ou ses podcasts devraient être contents. Elle devrait revenir prochainement avec un nouveau podcast. “J’ai pris le parti d’être une touche-à-tout. J’ai une curiosité presque maladive, donc mes projets évoluent.” De ses débuts jusqu’à aujourd’hui, les projets ne manquent pas. Son aventure sur internet est loin d’être terminée. A moins qu’elle ne décide de tout plaquer pour partir vivre à Naples ou élever des moutons en Ecosse. Rien d’étonnant pour celle qui d’une façon ou d’une autre sera toujours loin des codes.
Le B
Les créatrices recommandée par Hind : Assia Hamdi (journaliste spécialisée dans le sport), Carole Gomez (Chercheuse en géopolitique du sport) , Tracy Rodrigo (Journaliste sur le football espagnol), Béatrice Barbusse (Sociologue, dirigeante et ancienne joueuse de handball).
Ping :Pour les créatrices, la liberté est encore loin. Autopsie d’un sexisme sur internet – Zulumud