La date de passation de pouvoir n’est pas précise. Certains parlent de 2007, d’autres de 2008. Une chose est certaine, pour de nombreux joueurs, PES 6 est le dernier jeu Konami à avoir été leader sur le marché du jeu de foot. Depuis, c’est le cousin canadien Electronics Arts qui mène la danse. Depuis dix ans, la domination de FIFA est telle qu’il ne semble plus avoir un seul adversaire à son niveau pour lui contester son hégémonie. Mais alors que les médias spécialisés annoncent le retour de PES depuis quelques années, qu’en est-il est vraiment ? Le monopole de FIFA sur le marché des jeux vidéos de foot peut-il prendre fin ?
Si FIFA ne souffre d’aucune concurrence sérieuse depuis quelques années, il n’en a pas toujours été ainsi. Avant d’être en situation de quasi-monopole, le jeu vidéo canadien était en compétition avec trois autres acteurs. De tous ces adversaires, PES est celui qui concurrence FIFA depuis le début. En 1995, les Japonais de Konami sortent le premier Pro Evolution Soccer, deux ans après le premier FIFA, sobrement intitulé FIFA 93. Après avoir connu une période de domination sans partage dans les années 2000, PES est désormais dans l’ombre de FIFA. Konami dispose pourtant d’un atout solide, le gameplay, bien plus réaliste que celui de son cousin américain. Pour avoir jouer à l’édition 2019, nous confirmons que le gameplay est très jouissif, du fait de sa ressemblance avec le football réel, que ce soit dans la construction d’une action ou dans les contrôles de balle des joueurs.
Cela ne suffit pourtant pas et des défauts rédhibitoires subsistent toujours. Le premier concerne les licences. Il est aujourd’hui inconcevable de se dire que les droits d’équipes comme le Real, Manchester ou le Bayern ne soit pas détenus alors qu’en face, FIFA possède les droits de tous les championnats majeurs et même ceux plus anecdotiques de Chine ou du Japon (un comble pour PES). La deuxième critique récurrente concerne l’interface archaïque et peu esthétique. Les animations et modélisations de joueurs sont pourtant belles et les cinématiques agréables à regarder, mais les menus sont trop basiques pour que Konami développe une vraie identité visuelle.
Football Manager, ou FM pour les intimes, est la plus célèbre simulation d’entraîneur de foot. Cette franchise est une référence sur ce secteur. Sa position sur la niche des jeux d’entraîneur est presque comparable à celle de FIFA sur le marché des jeux de simulation de foot. Bien que très appréciée par ses utilisateurs et proposant un contenu complet, la franchise développée par Sports Interactive semble destinée à un public beaucoup plus initié que FIFA. À titre de comparaison, Football Manager 2018 a été vendu à hauteur d’un million d’exemplaires quand FIFA vendait 23 millions de copies de son édition 2018. Avec ces ventes, FIFA a atteint le seuil de 230 millions d’exemplaires vendues toutes éditions confondues depuis la création de la franchise, soit le plus grand total pour un jeu de sport.
Football manager semble trop spécialisé et orienté vers les “scientifiques” du football plutôt que vers les joueurs casual pour rivaliser avec FIFA. Et cela se comprend, les fans attendent de FM un jeu d’initié, complet dans son contenu et nécessitant un certain temps de prise en main. Preuve du réalisme et de la qualité de cette licence, elle est un outil de recrutement utilisé par de nombreux agents de joueurs ou recruteurs de clubs. Plusieurs joueurs ont déjà été recrutés grâce à Football Manager.
L’arcade pour le plaisir de tous
Ici ce n’est pas un, mais plusieurs acteurs qui sont venus concurrencer FIFA. Le premier est bien connu des amateurs de jeux de foot, il s’agit de FIFA Street. La licence, elle aussi développée par Electronics Arts, n’a pas vocation à réellement concurrencer FIFA. Tout d’abord car la licence appartient à la même entreprise, il est donc impensable de voir Electronics Arts se faire elle même de la concurrence à son produit phare. Surtout, la régularité de développement laisse à désirer. La dernière version, sobrement intitulée FIFA Street, date de 2012. FIFA a peut-être même abandonné l’idée d’un jeu complet orienté autour du foot de rue puisque le studio a décidé d’intégrer un mode de jeu “street” dans FIFA 20. Dans la même vision, en 2010, Ubisoft sortait Pure Football, un jeu de foot orienté arcade. Bilan, un échec commercial cuisant et un jeu considéré comme globalement passable, voir mauvais. Il n’aura jamais de suite et Ubisoft semble avoir abandonné pour de bon le secteur des jeux de foot.
Si les jeux de foot de type arcade ont été mis au placard par les éditeurs, FIFA a décidé de l’intégrer directement à son jeu. Tout le monde connaît le mode Ultimate Team, aussi abrégé en FUT, orienté autour d’un système de collection de cartes et de pack, inspiré de célèbres jeux de cartes comme Pokémon ou Yu-Gi-Oh. Il faut savoir que ce n’est pas la première licence de jeux vidéo à avoir essayé ce système. En 2007, Telefoot World Of Soccer arrivait dans les magasins français avec un système de cartes. L’achat et la collection des 218 cartes ne se faisaient pas en ligne mais bien chez les marchands de journaux. A mi-chemin entre l’album Panini et le jeu de foot, Telefoot World Of Soccer n’a jamais marché. Premier coup dur, les DLC ne sont pas encore généralisés. À cette époque, payer pour des extensions reste de l’ordre de la marginalité ou elles sont jouables indépendamment du jeu d’origine. Deuxième coup dur, le système de cartes numériques était peut être trop avant-gardiste, les joueurs n’étant pas prêt à ce système. De son côté, FUT a mis quelques années avant de s’imposer vraiment comme le mode de référence. Enfin, l’absence totale de licences associé à un jeu pas abouti ont fait que ce jeu n’a pas réussi à s’imposer comme un réel concurrent dans l’univers vidéo ludique du foot.
L’une des plus grandes forces, voir la plus grande, de FIFA est sa quantité de licences. Cette année encore, Electronics Arts a ajouté les licences de la Champions League et de l’Europa League. Dans cette édition, ce ne sont pas moins de 36 championnats, 48 sélections masculines et 14 féminines qui sont jouables. Ils sont les premiers à avoir intégré les sélections féminines, ce qui montre l’ajout régulier de contenus. Un certain nombre d’utilisateurs se cantonnent aux 20 ou 30 meilleurs équipes au monde, et ne voient sûrement pas l’intérêt de disposer d’autant de contenus. Mais pour tous les fans de foot et de jeux de foot, c’est un plaisir de pouvoir jouer avec des équipes de division quatre anglaise, de première division argentine, brésilienne ou japonaise ou de faire des derbies bourguignons ou écossais. Chaque année, FIFA réalise de petits investissements supplémentaires pour augmenter son portefeuille de licences. Cela ne leur coûte pas très chers mais mis bout-à-bout, cela crée des barrières à l’entrée sur ce marché.
Le confort d’utilisation prend le pas sur la performance pure. C’est là que le bât blesse. Personne ne peut maintenant réaliser les investissements nécessaires pour arriver avec un jeu comprenant toutes les licences. Sur cet aspect, FIFA a verrouillé sa position. De plus, l’ajout tous les ans de nouveaux modes comme l’aventure, la coupe du monde, les défis techniques et les nouveaux modes “salon” de cette année amène de la diversité dans la manière de jouer. Il y a donc une variété sur les équipes et sur les modes de jeu.
Un jeu orienté tout public
Mais il n’y a pas que des fans absolus de sport qui jouent aux jeux de foot et il faut savoir parler aux autres consommateurs. Sur cet aspect-là, on peut dire que FIFA excelle. Signe de réussite ultime pour un jeu vidéo, FIFA est en train de devenir le nouveau jeu de société, l’objectif initial des premiers jeux vidéo. Entre amis, en famille, venez vous amuser autour d’une partie de FIFA. Le slogan pourrait être signé Hasbro. FIFA ne s’est pas imposé par magie dans les chaumières. Tout d’abord, et c’est peut être le plus important, le gameplay de FIFA est à mi-chemin entre le réalisme et l’arcade. Quand on voit le nombre de retournées, de buts sur jongles, de roulettes, de tornado, on se doute quand même que l’intention est donnée à l’attaque et au football champagne. Alors oui, tout le monde apprécie de mettre une reprise de volée de 45 mètres, mais en prendre trois dans un même match ce n’est jamais arrivé dans la vraie vie. Et ce concept d’attaque à tout va est accentuée par EA Sports dans le mode FUT, où chacune de vos frappes est envoyée par le frère de Roberto Carlos. Le jeu est beaucoup plus assisté que son concurrent PES ce qui permet de réduire, un peu, les écarts de niveau entre les joueurs. Mais qu’on se le dise, votre cousin de 8 ans n’ira pas battre Bruce Grannec.
Même l’interface est très accueillante et intuitive, dans la tendance graphique des volets Windows. Si on ajoute à cela une bande son plutôt bonne, et des commentateurs connus du public, on obtient un jeu pour tous. La grande force de FIFA réside donc dans sa capacité à toucher un public de casual (joueurs occasionnels) et d’hardcore gamer, ce qui lui permettra peut être d’atteindre les 30 millions d’exemplaires vendus cette année.
L’avènement du eSport pourrait profiter à FIFA. Il faut dire que sa scène eSport est grandement en train de se développer. Le sport virtuel (tous jeux confondus) a attiré plus de 385 millions de spectateurs en 2017, selon un rapport de Newzoo. Les montants des gains des tournois montrent la mesure qu’ont pris ces compétitions. À titre d’exemple, le vainqueur du ESWC 2017 recevait 100 000 $. Les structures eSportives se développent également à travers les clubs de foot comme le PSG ou l’OL.
En France, l’organisation de la saison 2 de la FIFA Orange eLigue 1 est un réel coup de pub pour la licence canadienne. Une émission hebdomadaire de debrief de la compétition, 30 000 participants pour la première saison, autant de matchs lors de cette compétition et même un accord avec la LFP. Enfin, l’eSport va avoir besoin de constance dans les jeux pour se stabiliser. La position actuelle de FIFA pourrait le rendre indispensable sur les prochaines compétitions d’eSport.
Quel avenir pour FIFA ?
La position actuelle de FIFA est plutôt claire : la licence est sûre de ses forces et ne possède pas de concurrence sérieuse. La domination de FIFA aujourd’hui annonce un futur radieux pour le studio canadien. On peut tout de même émettre quelques bémols qui menacent cette pérennité. Tout d’abord, FIFA devra éviter le syndrome Call of Duty. Le célèbre jeu de guerre orienté arcade avait pour principal concurrent Battlefield, qui était plus réaliste. À force d’ajouter des fonctionnalités arcades et à cause d’un gameplay très accessible et donc peu représentatif du niveau de jeu réel, le jeu a fait fuir ses utilisateurs.
En voulant atteindre toujours plus de joueurs et en devenant ultra grand public, le gain de joueurs a été plus faible que sa perte. La licence de Call of Duty ne peut plus aujourd’hui se vanter d’être la licence la plus populaire au monde. On peut se demander si un tel syndrome ne pourrait pas frapper FIFA. À force de vouloir élargir son public et de s’éloigner du foot réel, FIFA pourrait définitivement perdre son public le plus fidèle. Des joueurs présents depuis des années qui lui offre des revenus très juteux à travers le mode FUT. Sur ce point là, FIFA est loin de satisfaire ses utilisateurs. De nombreux youtubeurs ont lâché le jeu à cause d’un gameplay qu’il jugeait insupportable. À juste titre, puisque l’édition 2018 était résolument offensif et très peu tourné vers la défense. Enfin, très peu d’ajouts ont lieu sur les autres modes de jeu ce qui a le don d’agacer la communauté. Les modes clubs pro et carrière ne connaissent que très peu de modifications pour améliorer l’expérience de jeu, même si ces modes sont d’une grande qualité dès le départ.
Alors que penser de l’avenir de FIFA ? Le jeu est-il voué à enchaîner les épisodes médiocres comme Call of Duty ? Ou peut-être peut-il prendre exemple sur Fortnite, un jeu où l’arcade est poussé à son paroxysme. C’est ce qui a fait son succès auprès du grand public, pourtant le jeu reste technique à travers son système de construction. Le parallèle avec FIFA est donc tentant. Le jeu de foot a beau être grand public grâce à son aspect arcade, il reste une part de technique que seul les experts arrivent à maîtriser complètement. Une chose est sûre FIFA n’est pas prêt de quitter les chaumières.
Le B