La NBA ou le socialisme réinventé par les capitalistes
La NBA ou le socialisme réinventé par les capitalistes

La NBA ou le socialisme réinventé par les capitalistes

Quel est le point commun entre McDonald’s, Microsoft, Coca-Cola et la NBA ? Ces marques symbolisent le capitalisme américain dans le monde. S’il y a bien un pays qui a fait de l’économie de marché sa raison de vivre, il s’agit des États-Unis. L’ensemble de l’identité américaine s’est construite autour du mythe de l’“American dream” et du “self made man”. Alors, comment expliquer qu’un peuple qui valorise plus que tout la concurrence, ait organisé un de ses sports majeurs sur un modèle rempli de régulations et de contraintes que certains qualifient de “socialiste” ?

Il est peu dire que les Américains aiment se démarquer de leurs lointains cousins européens. Au pays de l’oncle Sam, tout est toujours plus grand, plus beau, mais aussi plus dur, plus concurrentiel. Le sport ne fait pas exception. Les organisations et le fonctionnement des quatre sports majeurs américains n’ont absolument rien à voir avec ceux des Européens. Appuyés sur des systèmes de ligues fermées, professionnelles ou universitaires, les sports américains tranchent profondément avec la vision européenne du sport. Cela explique sans doute pourquoi les Etats-Unis n’ont jamais réussi à exporter leurs sports à l’étranger. A une exception notable, car le basketball, créé en 1891 dans le Massachusetts, est aujourd’hui pratiqué sur tous les continents. Pourtant, son fonctionnement tel qu’il est défini par la National Basketball Association (NBA) reste unique.

La NBA est une ligue fermée composée de 30 franchises. Chaque année, les nouveaux joueurs qui souhaitent rentrer dans la ligue sont choisis par des équipes chacun leur tour lors de la draft. Les équipes avec les pires bilans statistiques (ratio victoire/défaite) à l’issue de la saison, c’est-à-dire les plus mauvaises équipes, auront l’honneur de choisir en premier les joueurs. Leurs chances de sélectionner un très bon joueur capable de rééquilibrer le championnat sont donc bien plus élevées que lorsque la trentième équipe choisira son joueur. Ainsi, la soirée organisée par Mark Tatum et Adam Silver, les dirigeants de la ligue, est l’un des moments les plus importants de la saison pour les équipes ayant peu performé l’année précédente. Certains joueurs peuvent totalement changer le destin d’une franchise. Luka Doncic, troisième joueur sélectionné à la draft 2018 et élu meilleur « rookie » (un joueur qui joue sa première année dans la ligue) de l’année 2019, est le nouveau visage des Dallas Mavericks et pourrait imposer une dynastie sportive dans les années à venir. Autre star de la NBA, Zion Williamson, premier joueur sélectionné lors de la draft de cette année, est annoncé comme le meilleur joueur à intégrer la ligue depuis… Lebron James, en 2003. L’unique fait de drafter le prodige de l’université Duke a attiré les projecteurs sur la franchise de la Nouvelle-Orléans, pourtant l’une des plus sous-médiatisées. C’est cette redistribution des forces que permet la draft qui ferait de la NBA une ligue socialiste aux yeux de certains observateurs.

La NBA serait-elle le croisement entre les valeurs capitaliste du Monopoly et les valeurs socialistes de Karl Marx ? Source : Flickr.

La gestion socialiste du basketball américain ne s’arrêtent pas là. Sur les plans financiers et budgétaires, les équipes sont très régulées. Quelle que soit la franchise concernée, la masse salariale des joueurs est strictement encadrée. Les équipes ne peuvent pas compter plus de 15 joueurs dans l’effectif professionnel (16 sur des périodes limitées), et leurs salaires combinés ne peuvent excéder un niveau défini à l’avance par la ligue. Les écuries qui dépasseraient cette limite s’exposent à des sanctions, sous la forme d’une taxe progressive (luxury tax). Passé le seuil, les franchises doivent payer cette taxe de luxe pour chaque dollar en trop. Cette année, le cap salarial a été fixé à 109 millions de dollars. Un beau budget dont les franchises ne peuvent pas disposer n’importe comment. On ne ne peut pas donner n’importe quel salaire aux joueurs. Il existe un salaire minimum et un salaire maximum, indexé sur l’ancienneté du joueur dans la ligue et ses exploits individuels (sélection dans les équipes All-Star et All-NBA). Ces règles permettent de lutter contre une inflation démesurée des salaires et des budgets des franchises, comme on peut l’observer actuellement dans le foot. Un tel modèle permet également de récompenser la qualité de management des effectifs, en promouvant l’efficience budgétaire. Le meilleur n’est pas celui qui peut aligner le plus d’argent, mais celui qui utilise le mieux le budget dont il dispose. Le management d’une franchise devient donc un rôle stratégique. Le salaire est à la fois une composante de la valeur absolue d’un joueur mais elle est aussi relative. Les franchises vont investir selon le talent intrinsèque d’un joueur mais également selon la qualité des autres joueurs disponibles. À long terme, ces arbitrages peuvent se révéler décisifs dans le succès d’une franchise.

Par son fonctionnement, la NBA se heurtent donc à la culture sociale et économique des Etats-Unis. Ces régulations viennent empiéter sur les mœurs libertaires des américains. La draft, comme les règles et contraintes budgétaires imposées par la ligue viennent réduire la liberté d’agir d’une franchise. Pire, la meilleure équipe de la saison obtiendra la moins bonne récompense. La draft vient ainsi contredire la méritocratie, principe cher Outre-Atlantique. Mais ce modèle valorise aussi une culture de l’« American dream », où les possibles n’ont aucune limite. Dans la bible, comme en NBA, «  les derniers seront les premiers ».

 

Un « socialisme » à deux vitesses

Si les règles pour les franchises sont peut-être les mêmes pour toutes, encore faut-il être dans la ligue. Par conséquent, les règles s’imposent uniquement aux équipes qui sont considérées comme digne de faire partie de la NBA. Bien souvent, seule la taille du portefeuille du propriétaire d’une franchise dictera si elle est digne d’intégrer la ligue. Une nouvelle fois les valeurs libertaires, anti-protectionnistes et méritocratiques de la société américaine sont mises à bas. La libre concurrence des franchises et l’équité des chances se limitent aux seules frontières de la NBA.

Et pourtant, à l’intérieur même de la ligue, certaines règles tacites rendent l’équité et l’égalité des chances moins concrètes. Du fait du nombre limité de places dans la ligue et de l’assurance sportive d’y rester, certaines villes et franchises restent attractives quels que soient leurs résultats. Ces équipes, situées dans les plus grandes métropoles américaines ou riche d’une culture “basket”, sont appelées “gros marchés”. Los Angeles, New-York et Boston composent ce triangle des Bermudes du basket. La règle des gros marchés est simple et s’applique à l’ensemble de la ligue. Poussés par une certaine attirance pour la ville ou la franchise, les meilleurs joueurs libres de contrat vont chercher à signer dans ces « El Dorado » de basketteurs. Ces dernières années, plusieurs joueurs majeurs ont fait le choix de partir dans ces gros marchés. Des choix qui ont considérablement impacté l’ambition et le niveau de ces équipes. Ainsi, Lebron James a signé aux Los Angeles Lakers, Kevin Durant et Kyrie Irving sont arrivés aux Brooklyn Nets tandis que Kawhi Leonard, tout juste auréolé d’un titre NBA et de MVP des finales en 2019, s’en est allé dans l’autre équipe de Los Angeles, les Clippers. 

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Adam Silver est le commissaire de la NBA. Il dirige la ligue de basketball américaine depuis février 2014. Source : Flickr.

De l’extérieur, on pourrait penser que ces décisions sont de simples choix de vie et que chaque ville connaît tour à tour sa période d’attractivité. Ce n’est pas le cas, et une fois libéré de leur contrat, les meilleurs joueurs cherchent régulièrement à rejoindre ces grandes villes. Dès lors, les autres franchises se retrouvent à devoir surpayer les joueurs les plus talentueux de leur effectif pour les garder et ainsi ne pas perdre en attractivité ou en compétitivité. L’exemple parfait est le cas de Khris Middleton, un ailier All-Star, qui a été prolongé à prix d’or cet été par la franchise des Milwaukee Bucks. Il faut dire que le Wisconsin n’est pas l’état le plus attractif des États-Unis. Pour autant, il ne s’agit pas de tomber dans l’écueil d’incriminer les joueurs dans leur choix. La NBA est un monde hostile où règne le profit et le succès. L’affect et la loyauté de ces joueurs mercantilisés pour leur franchise s’en retrouvent logiquement affaiblis.

 

The show must go on

Si le profit, l’équilibre du jeu et la compétitivité de la ligue sont les trois enjeux majeurs de la NBA, la nécessité de produire du divertissement les surpasse car il est celui qui les régit. Sans spectacle, pas de compétitivité, pas de notion d’équilibre du jeu et pas de sacro-saint profit. Le modèle économique de la ligue repose grandement sur les droits télévisuels, la vente de produits dérivés et le remplissage des salles. L’investissement dans une équipe n’a rien de philanthropique. “Business is business” et les franchises doivent offrir un retour sur investissement à leur propriétaire. Adam Silver et la direction de la NBA l’ont bien compris. 

Les règles de la NBA ne cessent d’évoluer pour favoriser un jeu spectaculaire, avec toujours plus de “highlights”, des actions et moments impressionnants qui font le tour du web. Pour poursuivre dans cette voie, les règles d’attribution des choix de draft de la loterie 2019 ont changé. Jusqu’à présent, la distribution des probabilités d’obtention du premier choix de la loterie étaient écrasées sur les pires bilans de la ligue. Pour faire simple, le plus mauvais avait plus de chances que tous les autres d’obtenir le premier choix. La nouvelle loterie implique que les probabilités soient plus éclatées et donc que les meilleures des quatorze plus mauvaises équipes de la ligue, en terme de bilan victoire/défaite, ont plus de chance de décrocher un bon choix de draft. Cette nouvelle règle “anti-tanking” veut réduire l’utilité d’être mauvais, et empêcher les franchises de perdre volontairement (faire du “tanking”) pour espérer avoir un bon tour de passage à la draft. La réglementation veut inciter les équipes à être plus compétitives et donc augmenter la concurrence au sein de la ligue. Les équipes de milieu de tableau n’ayant pas assez performé pour décrocher les playoffs mais ayant joué le jeu pourront toujours  espérer une surclassement à la draft. Cette heureuse surprise de fin de saison est tombé sur la franchise de la Nouvelle-Orléans cette année. Avec le septième pire bilan de la ligue, la franchise de Louisiane était statistiquement censée choisir en septième position lors de la draft. Elle a finalement obtenu le premier choix à la loterie et a choisi le fameux Zion Williamson. Cette surprise a donné de la résonance au message que veut faire passer la ligue avec ce nouveau système. Soyez aussi compétitif que vous le pouvez, et vous aurez aussi la chance de drafter haut.

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Les deux “rookies” Zion Williamson et R.J. Barrett lorsqu’ils évoluaient en championnat universitaire avec l’université de Duke. Source : Flickr.

Les changements des règles ne s’arrêtent pas seulement à l’organisation de la ligue. Le jeu en lui-même est sans cesse modifié par les dirigeants de la NBA pour le rendre plus dynamique et plus spectaculaire. Ainsi, l’arrivée de la ligne à trois points à la fin des années 70 a progressivement dynamisé la manière de jouer au basket. Mais sans remonter si loin, la NBA vient d’adopter une réduction du temps de possession de la balle après un rebond. Concrètement, les joueurs disposeront de moins de temps pour organiser leurs attaques et tirer, cela provoquera donc plus de shoot ou de changements de balle. In fine, il devrait y avoir plus de points dans les matchs et le spectacle en ressortira renforcé. Ces décisions peuvent difficilement être affiliées à une idéologie politique ou économique. En revanche, ces règles ont un objectif bien précis. Il faut toujours augmenter le spectacle des matchs. Si les match deviennent plus spectaculaires alors il y aura plus de personnes touchées et au final plus de public. Bien plus qu’un outil de propagande économique ou culturelle, les modifications des règles du jeu assouvissent une quête insatiable de revenues commerciaux. 

La NBA, à l’image de la culture socio-économique américaine, est pleine de paradoxes. À plusieurs reprises, la direction de la NBA a favorisé économiquement certaines franchises pour faciliter leur développement et l’emprise du basket dans certaines régions. Une rupture de l’égalité de traitement pour ramener plus d’équité et de concurrence dans la ligue. Une chose est sûre, la ligue n’est pas guidée par une vision politico-économique qui verrait s’affronter socialisme et capitalisme, économie de marché contre protectionnisme. Si la vision culturelle et économique des Américains est souvent mise à mal par le fonctionnement de la NBA, c’est que la ligue place le divertissement et le spectacle au dessus de tout, sauf du profit. Les valeurs et l’idéal américain ne sont rien à côté de la tentation de la société de consommation de masse du divertissement. Que ce soit pour le socialisme ou le capitalisme, “The Show must go on !“. 

On associe souvent la société américaine à l’argent roi et la culture de la sur-performance. Rien n’est sans doute managérialement plus faux. Si culte il y a, c’est celui du dépassement de ses propres limites. C’est celui de l’accomplissement de quelque chose. D’une existence. Gains et profits, toujours, ne sont viscéralement conçus que comme conséquences. La cause, la vraie, c’est l’œil du tigre.”Rocky III, ou ce qu’il reste des idéaux américains.

Le B

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