La politique française du club unique
La politique française du club unique

La politique française du club unique

La Chine avait sa politique de l’enfant unique, les villes françaises l’ont adapté aux clubs de foot. En France, les derbys sont régionaux mais il est très rare de voir s’affronter des équipes de la même ville. Quand ils se présentent, ces matchs ont rarement un enjeu et les différences de niveaux sont telles qu’ils perdent pour beaucoup tout intérêt. Peu commune dans le foot européen, cette politique suscite des interrogations. Pourquoi et depuis quand existe t-elle ? Doit-on la regretter ou la chérir ?

La répartition des clubs de foot français sur le territoire est très égalitaire. Sur les quarante clubs qui composent les deux premières divisions, ce sont bien trente-six villes qui sont représentées. Deux villes font exception : Ajaccio et ses deux clubs de Ligue 2, le Gazélec et l’ACA, et Paris avec le PSG, le PFC et le Red Star. Si l’on se restreint à la seule Ligue 1, on dénombre vingt clubs pour autant de villes. Chacune n’a donc qu’un seul club de haut niveau.

Cette répartition française dénote avec celles des principales métropoles européennes, qui, pour la plupart, accueillent plusieurs clubs. Parmi les grands championnats, seul la Bundesliga allemande se rapproche de la Ligue 1 par sa structure. Comme la France, l’Allemagne ne compte qu’un club par ville en première division. Une autre similitude subsiste, Berlin, la capitale et plus grande ville d’Allemagne, connaît des difficultés à s’imposer comme ville pilier du foot allemand. Une situation qu’a connu Paris pendant plusieurs décennies, avant les arrivées de Colony Capital puis de QSI qui ont donné une autre stature au PSG. Le club lui-même a été créé en 1970, suite à une étude de la FFF, en vue de relancer le foot dans la capital. La France fait donc figure de quasi exception avec l’Allemagne dans les grands championnats.

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Comment alors expliquer que Paris, Marseille et Lyon, les trois plus grandes agglomérations françaises avec 12 millions, 1,8 millions et 1,4 millions d’habitants, ne phagocytent pas plus le football français ? Le monstre Londonien fait figure d’exception et ne pourra sûrement jamais être égalé, mais les exemples italiens, portugais et espagnols peuvent être imités. Et que penser de Madère, cette minuscule île portugaise dont les nombreux clubs performent au niveau national et européen. D’emblée un constat s’impose : la taille des villes n’est pas la justification de cette exception française. Paris, Lille, Lyon et Marseille n’ont pas à pâlir de la comparaison avec leurs homologues européennes. Contrairement à ce qu’affirme Loïc Ravenel, docteur en géographie et collaborateur scientifique au Centre international d’études du sport la taille des agglomérations françaises n’est pas insuffisante pour accueillir plusieurs clubs professionnels. Selon lui, on retrouverait un club de football professionnel tous les million d’habitants. Mais notre tour des villes européennes invalide ce constat. Paris compte plus de trois millions d’habitants de plus que Londres et pourtant, la capitale anglaise abrite une douzaine de clubs professionnels contre trois seulement pour la Ville lumière.

 

Une contrainte des pouvoirs publics

La première explication à cette exception est d’ordre institutionnelle et elle concerne le financement des infrastructures. En Europe, la détention des droits de propriété des stades par les clubs est assez répandue, sauf en France où seul Lyon possède le sien. Lors du XXe siècle, celui du développement du sport en France, les municipalités étaient grandement impliquées dans le financement des clubs. Les mairies ont donc privilégier le développement d’infrastructures sportives différentes pour développer plusieurs sports plutôt que d’en mettre un seul en avant. Dans un entretien donné au Monde en 2013, Loïc Ravenel corroborait cette analyse :“Cette situation renvoie à l’organisation du sport français, qui s’est de plus en plus municipalisé depuis les années 1960. Les mairies préfèrent privilégier un seul club de football ou bien se diversifier avec plusieurs sports différents, au lieu de se disperser dans plusieurs clubs de football.”

 

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Les supporters du Gazelec lors de la montée en Ligue 1 en 2015. Une division qu’ils n’auraient jamais pu atteindre 16 ans plus tôt. Source : Pascal Pochard Casabianca – AFP

Cette politique sportive municipale va également toucher les subventions. Les municipalités vont modifier leur politique de subsides pour favoriser la présence d’un unique club professionnel. Cette politique va conduire à la fusion des différents petits clubs d’une ville pour créer une seule grosse structure. C’est le cas du Paris Saint-Germain, issu de l’union du Stade saint-germanois et de l’ancien Paris Football Club. Même histoire pour le LOSC, né de la réunion de l’Olympique Lillois et du Sporting Club Fivois. Plus récemment, la fusion était devenu indispensable pour Marseille Consolat et le SC Air Bel, deux clubs des quartiers Nord et Est de Marseille. En 2018, le président d’Air-Bel expliquait ce rapprochement sur le site Actu-foot.fr : “Les collectivités suivent de moins en moins et c’est difficile d’obtenir une aide des entreprises privées, je cherche donc des moyens supplémentaires. La concurrence est rude et aujourd’hui l’Athlético Marseille (le nouveau nom de Consolat, ndlr) qui a été repris par de nouvelles personnes peut nous apporter ce que l’on recherche.” Même constat pour le président de Consolat qui expliquait en 2013, dans un entretien au Monde, la réticence de la puissance publique à investir dans le sport. “Lors de notre montée en CFA en 2011, on était tout fier devant l’adjoint aux sports de Marseille, mais lui, il faisait la grimace.”

Les contraintes ne viennent pas uniquement des administrations locales mais également de la fédération. Certaines règles ont contribué à maintenir le football français dans sa politique du club unique. Il y a quelques années, le règlement de la FFF interdisait aux villes de moins de 100 000 habitants d’avoir plus d’un club professionnel. Ce règlement n’existe plus aujourd’hui mais a tout de même fait une victime. Le Gazélec Ajaccio, promu en deuxième division en 1999, a vu sa montée annulée par l’application de cette règle. Un coup dur qui n’a pas empêché le club historique corse de montre en Ligue 1 quelques années plus tard.

 

Une absence de culture foot

La politique française du club unique s’explique également par la faible présence culturellement du foot en France. L’intérêt des français pour le football se limite, hors exemples marginaux, à une consommation de spectacle. A l’étranger, l’appartenance à un club correspond à une identité, à un quartier, à des valeurs ou bien à l’appartenance à une communauté. C’est ainsi qu’en Espagne, le club du Vayo Rallecano représente le quartier populaire de Valleca, dans la banlieue de Madrid. Jesus Diego Cota, joueur le plus capé de l’histoire du club, expliquait à So Foot en 2014 que “pour comprendre le club, tu dois comprendre le quartier. Et vice-versa. Ils sont indissociables.” Ces dernières années, le club a mis en avant son engagement social en payant le loyer d’une supportrice octogénaire, en faisant de la lutte antiraciste une de ses valeurs fortes et en multipliant les maillots personnalisés contre les violences faites aux femmes ou pour la tolérance envers les orientations sexuelles.

A Londres, les différents clubs représentent les différents quartiers londoniens. C’est ainsi que West Ham, situé à l’Est de Londres, a rendu hommage a son passé ouvrier et industriel à travers un maillot au nom de l’ancien club, Thames Iron Works FC. Ces dernières étaient les usines d’acier et de fer de l’Est de Londres. Elles ont marqué l’histoire du quartier mais également du club. De l’autre côté de l’Atlantique, en Argentine, l’appartenance à un club dicte l’organisation d’une vie. Le fait de porter certaines couleurs, l’accès à certaines écoles ou soins médicaux est conditionné par l’appartenance au club de Boca Junior ou de River Plate.

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Le stade Charlety lors de PFC-Lorient, match crucial pour la montée en Ligue 1. L’une des plus forte affluence de l’année avec seulement un tiers du stade d’ouvert. Source : Zulumud.

La France, elle, ne semble pas avoir cette passion pour le football. Certains clubs ont pourtant une réelle identité sociale. Ainsi, le Red Star s’investit dans l’aide sociale dans les banlieues parisiennes tandis que le Racing Club de Lens ou l’ASSE représentent des bassins industriels et populaires. A l’extrême sud, l’Olympique de Marseille, par son aspect populaire, fait bouillonner la cité phocéenne. Mais cette culture footballistique reste très limitée. Mohamed Tria, président de l’AS Lyon-Duchère analysait cette tendance dans le Monde “Par rapport à d’autres pays, les Français manquent d’engouement pour le football. A la limite, on aurait plutôt intérêt à être le seul club de football dans une plus petite commune plutôt que d’être à Lyon intra-muros.” Ce constat est partagé par Pierre Ferracci, président du Paris Football Club. En 2013, il abondait dans le sens de Mohamed Tria dans les colonnes du Monde : “A Paris, il y a tellement de spectacles, de théâtres, que pour qu’un club de football autre que le PSG existe aux yeux des Parisiens, il faudrait que nous soyons au minimum en Ligue 2”. Aujourd’hui, le PFC est en Ligue 2 depuis trois saisons et l’engouement ne prend toujours pas. Le stade est vide les soirs de matchs et le public ne semble toujours pas s’intéresser au club malgré des performances notables qui pourraient lui permettre d’atteindre la Ligue 1.

 

Foot, terroir et derbys

Critiqué par les clubs mineurs des grandes métropoles, la politique du club unique conserve des arguments en sa faveur. L’absence de plusieurs équipes dans la même ville permet tout d’abord de voir des populations différentes se regrouper sous la même bannière et la même institution. Un club de foot français est comme la gare d’Emmanuel Macron où des personnes d’horizons économiques et sociaux différents peuvent se rencontrer, se mélanger et supporter avec fraternité la même équipe. Le club français réussit donc le tour de force de rassembler des gens diamétralement différents, des “gens qui ont tout” et des “gens qui ne sont rien”. A l’étranger il n’est pas rare de voire des oppositions entre des clubs aux identités sociales fortes qui ne font qu’accentuer des incompréhensions et des inégalités. C’est le cas du foot argentin où la lutte des classes entre univers populaire et aisé se poursuit à travers les clubs de Boca Junior et River Plate. En France, les oppositions existent toujours mais elles deviennent géographiques et culturelles.

Cette spécificité a également permis une répartition plus hétérogène des clubs professionnels. Sans cette particularité, l’apparition de club de haut niveau à Guingamp, en France, ou à Hoffenheim, en Allemagne, n’aurait peut-être jamais eu lieue. Cette politique a donc créé de l’activité, de l’attractivité et du dynamisme dans de nombreuses villes moyennes comme Sochaux, Auxerre, Amiens, Lens, Guingamp, Niort. Cette diversité permet une diffusion des cultures régionales et donne lieu à des derbys locaux, comme Auxerre-Dijon, Tours-Orléans, Nîmes-Montpellier ou Lyon-Saint-Etienne. La présence d’un seul club professionnel dans les grandes villes françaises n’est donc pas répréhensible. Cette répartition est représentative de la culture française, plurielle et diverse. Et pourtant, certains voudraient voir ce romantisme disparaître et militent pour la création d’une ligue fermée en France. Une hérésie pour tout amoureux du foot français alors qu’il est l’un des derniers bastion de la pluralité des cultures, du terroir et du rejet du déterminisme.

Le B

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